Par Matthias Küntzel, écrivain allemand, Novembre 2003.
Contrairement à une croyance répandue, le mouvement politico-religieux islamiste n’est pas né pendant les années 60 mais pendant les années 30. Le succès de ce mouvement n’a pas été inspiré par l’échec du Nassérisme, mais par la montée du Nazisme. Jusqu’à 1951, toutes les campagnes visant à mobiliser le peuple n’étaient pas dirigées contre des puissances coloniales, mais contre les Juifs.
C’est l’organisation des « Frères musulmans », fondée en 1928, qui a établi l’Islamisme comme un mouvement de masse. La signification de cette organisation pour l’Islamisme est comparable à celle du Parti bolchevique pour le communisme au 20ème siècle : jusqu’à présent, il est l’élément de référence en termes d’idéologie et représente le noyau dur de l’organisation, qui a inspiré de manière décisive toutes les tendances d’islamistes suivantes, y compris Al-Qaida, et qui les inspire encore à ce jour.
Il est vrai que la politique coloniale britannique a produit l’Islamisme en tant que mouvement de résistance contre la modernité culturelle et déclenché l’appel pour un nouvel ordre basé sur la Charia. Mais la confrérie n’a pas conduit sa guerre sainte principalement contre les Anglais ; elle ne l’a pas non plus conduite contre les Français ou contre l’élite égyptienne qui avait collaboré avec les Anglais. Au lieu de cela, le mouvement islamiste de la confrérie s’est focalisé presque exclusivement sur le Sionisme et les Juifs. En 1936, elle comptait seulement huit cent membres mais en 1938, le nombre de ses membres atteignit le chiffre stupéfiant de deux cent mille. Entre ces deux dates, une seule grande campagne avait eu lieu en Égypte. Ses cibles étaient exclusivement le Sionisme et les Juifs…
Cette campagne fut déclenchée par une rébellion en Palestine, lancée dans les villes égyptiennes par le célèbre mufti de Jérusalem, Amin El-Husseini (oncle de Yasser Arafat, ndlr), aux cris de : « À bas les Juifs ! », « Les Juifs hors d’Égypte et de Palestine ! ».
Leurs tracts réclamaient le boycott des marchandises juives et des magasins juifs. Le journal Al-Nadhir commença alors à publier une colonne régulière appelée « Le danger des Juifs d’Égypte ». Il publiait les noms et les adresses des hommes d’affaires juifs et d’éditeurs de journaux prétendument juifs partout dans le monde, attribuant tous les maux, depuis le communisme jusqu’aux aux bordels, au « danger juif ». Beaucoup de modèles d’action aussi bien que des slogans avait été empruntés à l’Allemagne nazie. En outre, la confrérie fit appel à ses sympathisants afin de se mobiliser partout en Égypte en faveur de la « guerre de défense pour la mosquée Al-Aqsa ». Cet appel était inhabituel et complètement nouveau dans le monde musulman à ce moment-là.
Pour les Musulmans, la confrérie a été la première organisation à lancer l’idée d’un Islamisme guerrier et conquérant et à prendre le désir ardent de mourir pour le modèle islamique des temps modernes. Dès 1938, Hassan Al-Banna, le fondateur charismatique de la confrérie, (grand-père de Tariq Ramadan, ndlr), présente son idée de « Jihad » au public par la publication d’un article intitulé « L’industrie de la mort ». Ce titre, cependant, ne se rapportait pas à l’horreur de la mort mais à la mort en tant qu’idéal, ardemment désirée. Hassan Al-Banna écrivait : « Dieu donne à une nation qui perfectionne l’industrie de la mort et qui sait mourir noblement, une vie fière en ce monde et la grâce éternelle dans la vie future ».
Ce slogan rencontra l’enthousiasme parmi les « Troupes de Dieu » comme la confrérie se nommait elle-même. À chaque fois que leurs bataillons descendaient les boulevards du Caire, en formation quasi-fasciste, ils entonnaient une chanson : « Nous ne craignons pas la mort, nous la désirons… Mourons dans la rédemption pour les Musulmans ». Cette idée de « Jihad » n’a pas été formulée dans les temps modernes jusque dans les années 30 ; elle a été entremêlée de pulsions antisémites dès le début.
L’antisémitisme de la confrérie était donc non seulement influencé par des idéologies européennes, mais également par des racines islamiques. Premièrement, les Islamistes considérèrent, et considèrent toujours, la Palestine comme étant un territoire islamique (Dar Al-Islam), où les Juifs ne pourront jamais contrôler un simple village et encore moins un État. Deuxièmement, cette nouvelle ligne de front entre les Musulmans et les Juifs évoque de vieux souvenirs de l’histoire des débuts de l’Islam. Par exemple, les Islamistes essaient de légitimer leur aspiration à tuer ou chasser les Juifs de la Palestine en se référant à l’exemple de Mohamed, dont la Légende dit qu’il réussit non seulement à expulser deux tribus juives de la Médina pendant le 7ème siècle, mais a tué la population masculine de la troisième tribu toute entière, et vendu toutes les femmes et les enfants comme esclaves.
Troisièmement, c’est exactement cette hostilité qui a apparemment conforté à leurs yeux la justesse du Coran, selon lequel les Juifs doivent être considérés comme le pire ennemi des croyants.
Ce ne fut toutefois que le 8 mai 1945, que le rapprochement entre l’idéologie des frères musulmans et les Nazis atteignit un sommet. Ceci devint évident dès novembre 1945. Pendant ce même mois, les Frères musulmans commirent le plus sanglant des pogroms anti-juifs dans l’histoire de l’Égypte : l’épicentre de l’antisémitisme avait commencé à se décaler de l’Allemagne vers le monde arabe. Les manifestants pénétrèrent dans les quartiers juifs du Caire lors de l’anniversaire de la déclaration Balfour. Ils pillèrent les maisons et les magasins, attaquèrent les non-Musulmans, dévastèrent les synagogues et y mirent le feu. Six personnes furent tuées, et environ une centaine furent blessées. Quelques semaines plus tard, les journaux islamistes appelèrent à une attaque frontale contre les Juifs égyptiens, les décrivant comme sionistes, communistes, capitalistes et suceurs de sang, comme souteneurs et fauteurs de guerre ou, en général, comme autant d’éléments subversifs dans tous les États et Sociétés, ainsi que Gudrun Krämer l’a mentionné dans son étude au sujet des Juifs d’Égypte entre 1914 et 1952.
Un an après, la confrérie s’assura que l’ami de Heinrich Himmler, Amin El-Husseini, qui était recherché comme criminel de guerre, soit exilé et qu’un nouveau domaine d’activité politique lui soit accordé en Égypte. En sa qualité de mufti de Jérusalem et chef du Mouvement National palestinien, cette personne détestable était non seulement l’un des alliés les plus proches de la confrérie musulmane depuis le début des années 30, mais aussi le plus ardent défenseur et perpétrateur de l’annihilation des juifs européens dans le monde arabe. L’amnistie accordée à cette autorité islamique fut le symbole qui justifia ses actions pour une grande partie du monde arabe. Dès lors, les criminels nazis recherchés par la suite en Europe se déversèrent en masse dans le monde arabe.
D’innombrables versions des infâmes « Protocoles des Sages de Sion », faux antisémite notoire, furent publiés au cours des décennies suivantes par deux anciens membres bien connus de la confrérie musulmane : Gamal Abdel Nasser et Anouar El-Sadate. La solidarité inconditionnelle des frères musulmans avec le mufti et les émeutes antisémites contre des Juifs, quelques mois seulement après Auschwitz, montrent clairement que la confrérie niait, ou justifiait l’extermination des juifs européens par Hitler.
Les conséquences de cette attitude sont importantes et caractérisent le conflit Israélo-arabe jusqu’à ce jour. Comment les Islamistes expliquent-ils l’appui international en faveur d’Israël en 1947 ? Aussi longtemps qu’ils nient le destin des juifs pendant la deuxième guerre mondiale, ils doivent revenir à des théories de conspiration antisémites. Ils voient ainsi la création de l’État juif comme une attaque des États-Unis et de l’Union soviétique contre le monde arabe, initiée par la malveillance des Juifs. En conséquence, la confrérie a interprété la décision des Nations Unies en 1947, au sujet de la partition de la Palestine, comme un complot international fomenté par les Américains, les Russes et les Anglais, sous l’influence du Sionisme. Cette interprétation peut sembler incroyable mais elle existe néanmoins réellement : peu de temps après la libération d’Auschwitz, les Islamistes tentèrent de stigmatiser des Juifs comme la véritable puissance dominant le monde. Cette folle notion d’une conspiration juive mondiale, abandonnée en Allemagne depuis le 8 mai 1945, a non seulement survécu mais fit l’objet d’une nouvelle impulsion en 1947 dans un monde arabe où la confrérie musulmane avait réussi à rassembler des millions de partisans entre-temps.
Ce nouvel impact s’inspirant des théories de conspiration nazies devient en particulier évident à la lecture de la charte de la confrérie musulmane palestinienne qu’est le Hamas. Cette charte, adoptée en 1988, représente un des programmes islamistes des plus importants à l’heure actuelle, dépassant de loin le conflit palestinien. Le Hamas s’y définit comme étant un « mouvement universel » dont la guerre doit être soutenue par les Musulmans partout dans le monde. Leur ennemi est non seulement le Sionisme en Israël, mais dans le monde soit, comme les Nazis l’ont appelé la « Weltjudentum » (Juiverie mondiale, ndlr). Selon sa charte, le Hamas est le fer de lance et l’avant-garde dans la lutte contre Sionisme mondial.
On a l’impression que ses auteurs l’ont écrite en s’appuyant sur un exemplaire des « Protocoles des Sages de Sion », pour qui tous les maux de ce monde sont attribuables au Sionisme. Aux dires de cette charte, les Juifs étaient derrière la Révolution française aussi bien que les révolutions communistes. Ils étaient aussi à l’origine de la première guerre mondiale qui avait pour but d’éliminer le Califat islamique… et étaient également derrière la seconde guerre mondiale, à l’occasion de laquelle ils ont rassemblé d’immenses avantages commerciaux en négociant du matériel de guerre et préparé l’établissement de leur État. Ils furent les inspirateurs de la création des Nations Unies et du Conseil de Sécurité, afin de régner sur le monde par leur intermédiaire. Aucune guerre n’a éclaté où que ce soit dans le monde sans porter leur marque. Le caractère original de cette charte apparaît finalement dans l’article 32 : le plan des Sionistes a été prévu dans les « Protocoles des Sages de Sion », et leur conduite actuelle en est la meilleure preuve. Elle fait apparaître le ridicule d’une telle folie, tout comme l’ineptie des théories d’Hitler fut démontrée par la suite. C’est, cependant, justement cette image inepte des Juifs comme les « mauvais » et les « bandits » du monde qui incite les meurtres de masse des civils en Israël ou aux États-Unis et qui motive l’enthousiasme des Islamistes à leur sujet. Le Hamas et Al-Qaida reprennent des thèses compatibles avec le nazisme, telles que le programme meurtrier qu’avait réalisé Amin El-Husseini, le mufti de Jérusalem, sous un tonnerre d’applaudissements des Islamistes partout dans le monde.
Sur cette toile de fond, il est toujours surprenant de constater que les personnes qui connurent Mohamed Atta dans son groupe coranique lui attribuent une « Nazi Weltanschauung » (approche du monde nazie, ndlr). Est-il dès lors surprenant qu’Oussama BinLaden accuse les Juifs de prendre en otage l’Amérique et le monde occidental, compte tenu du fait que le fondateur de Hamas, le Palestinien Abdullah Azzam, était en même temps le principal professeur et le formateur du chef d’Al-Qaida?
Pourquoi n’y a-t-il pas eu de débat sérieux au sujet de la dimension antisémite du 11 septembre ? En Allemagne, même la révélation sans état d’âme par l’hebdomadaire « Der Spiegel » de la « Weltanschauung » d’Atta n’a provoqué aucune réaction. Jusqu’à présent il n’y a aucune traduction allemande de ce document important d’antisémitisme islamique qu’est la charte du Hamas, ou du pamphlet « Notre lutte contre les Juifs » par l’auteur le plus célèbre de la confrérie, Sayyid Qutb, publié en 1950.
Ceci, et le fait que la charte du Hamas ait été complètement ignorée par les journalistes et les politiciens qui ont vainement essayé de découvrir les motifs à l’origine des assassinats de masse suicidaires de civils innocents en Israel ou aux États-Unis, prouve clairement que les paroles de l’un des chercheurs les plus distingués sur l’antisémitisme, Leon Poliakov, ne seront jamais assez mises en valeur :
«Ceux qui ne dénoncent pas l’antisémitisme sous sa forme primitive et élémentaire, au seul motif qu’elle est si primitive, devront affronter la question de savoir s’ils ne donnent pas secrètement leur approbation aux antisémites partout dans le monde, justement pour cette raison».
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