La peur des pays arabes face à l’Iran

« On ne peut pas faire confiance aux Iraniens », observe le roi d’Arabie Saoudite, Abdallah bin Abdelaziz, en mars 2009, devant le conseiller de la Maison blanche pour l’antiterrorisme, John Brennan. « L’objectif de l’Iran est de causer des problèmes », l’Iran est « aventurier dans un sens négatif », « que Dieu nous préserve de leurs péchés », poursuit-il, selon un compte-rendu américain obtenu par WikiLeaks et examiné par Le Monde.

Des diplomates américains rapportent d’autres propos du roi Abdallah, invitant à « couper la tête du serpent », auquel il compare l’Iran. Selon un télégramme daté du 11 février 2010, « le roi saoudien a dit au général [américain] [James] Jones que si l’Iran parvenait à développer des armes nucléaires, tout le monde, dans la région, ferait de même ».

« Ce programme doit être stoppé », insiste pour sa part le roi de Bahrein, Hamad Al-Khalifa, à propos du dossier nucléaire iranien, le 1er novembre 2009, en recevant le général David Petraeus, alors commandant en chef du Centcom, qui a en charge la région. « Le danger de le laisser se poursuivre est supérieur à celui de le stopper ».

« MBZ », DANS LES TÉLÉGRAMMES AMÉRICAINS

Cette inquiétude arabe n’a cessé de grandir au rythme du programme nucléaire de la République islamique. Cela vaut tout particulièrement pour les riverains du Golfe dont certains ont pu avoir, ou ont encore, des contentieux territoriaux avec l’Iran et qui redoutent à la fois l’ambition décuplée que donnerait à Téhéran le statut de puissance nucléaire et la riposte que susciterait toute initiative militaire destinée à entraver ce projet. De nombreux documents font état de leur souci d’acquérir des armements américains. Les télégrammes diplomatiques américains attestent de ce climat général avec cependant quelques nuances, car tous les émirats de la région n’entretiennent pas les mêmes relations avec leur puissant voisin.

Mohammed bin Zayed, le prince héritier d’Abu Dhabi, pilier de la Fédération des Émirats Arabes Unis, est plus déterminé. Lorsque le chef des états-majors américains, l’amiral Mullen, fait part au prince (« MbZ », dans les télégrammes américains) de son doute sur l’efficacité d’opérations seulement aériennes contre les sites iraniens, il s’exclame: « il faudrait alors des troupes au sol ». « MbZ », écrit un diplomate, le 9 février 2010, « considère que la logique de guerre domine la région, et cette lecture explique sa quasi-obsession de renformer les forces armées » de l’émirat.

Le 14 février 2010, l’émir du Qatar, qui partage un champ gazier stratégique avec l’Iran, adresse un conseil au sénateur américain John Kerry. « En se basant sur 30 années d’expérience avec les Iraniens, l’émir conclut la réunion en disant qu’il ne faut croire qu’un mot sur cent qu’ils prononcent », note un document américain. « Ils nous mentent, et nous leur mentons » : c’est ainsi que le premier ministre du Qatar, Hamad bin Jassim Al-Thani, décrit la relation entre son pays et l’Iran, lors d’un entretien avec le vice secrétaire américain à l’énergie, Daniel Poneman, le 10 décembre 2009.

« NE CROYEZ PAS UN SEUL MOT QU’ILS PRONONCENT »

Le 13 février 2010, le premier ministre du Qatar reçoit à son tour John Kerry. Il « affirme que Mahmoud Ahmadinejad [le président iranien] lui a dit : « nous avons battu les Américains en Irak, la bataille final sera livrée en Iran », relate un document américain. Le président de l’Égypte, Hosni Moubarak, « éprouve une haine viscérale pour la République islamique », écrit un diplomate basé au Caire, en février 2009, « il les traite de ‘menteurs' », et prévient : « ne croyez pas un seul mot qu’ils prononcent ». Le 21 avril 2009, devant l’amiral Mullen, le chef des renseignements égyptiens, Omar Souleyman, constate que l’Iran « est très actif en Égypte », « l’Iran doit ‘payer un prix’ pour ses actions », retranscrit un diplomate.

En Jordanie, souligne un télégramme américain, en avril 2009, « la métaphore la plus couramment utilisée par des officiels en parlant de l’Iran est celle d’une pieuvre étendant ses tentaticules », qui doivent être « coupées ». Le président de la Chambre haute du Parlement, Zeid Rifai, « prédit que le dialogue avec l’Iran ne mènera nulle part », dit un document, qui le cite ainsi: « bombardez l’Iran ou vivez avec un Iran nucléaire, les sanctions, les carottes, les incitations, n’ont pas d’importance ».

Cette obsession de la menace iranienne partagée par la quasi-totalité des pays de la région qui ont en outre officiellement sous-traité leur sécurité aux États-Unis depuis l’invasion de l’Irak par Saddam Hussein, en 1990, se combine avec une autre crainte, exprimée explicitement par les responsables jordaniens, celle d’un rapprochement historique américano-iranien qui rabibocherait Téhéran et Washington aux dépens de ses alliés arabes. La demande du prince héritier d’Abu Dhabi que le Conseil de coopération du Golfe (CCG) soit associé aux tentatives de négociations avec l’Iran traduit à sa manière le sentiment inconfortable d’être le spectateur d’une pièce qui se joue ailleurs.

Par Natalie Nougayrède et Gilles Paris

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *