La montée des totalitarismes ou l’accélération de l’histoire

Par Alexandre Del Valle

Après la guerre qui a opposé l’armée israélienne aux forces du mouvement islamiste palestinien Hamas, il peut être intéressant de rappeler les fondements doctrinaux du mouvement islamiste-terroriste palestinien que nombre de militants pro-palestiniens et anti-sionistes ont défendu directement ou indirectement ces dernières semaines dans le cadre de grandes manifestations anti-israéliennes, souvent aux cris de « Mort à Israël » ou « Mort aux Juifs », et en réaction à la réaction « disproportionnée » de Tsahal face aux tirs de roquettes du Hamas. L’idéologie du Hamas ne puise pas uniquement dans la doctrine de l’Islam orthodoxe ou panislamiste mais est en réalité fort transversale. Elle empreinte, certes, à une certaine orthodoxie sunnite salafiste des Frères Musulmans, source « endogène », mais aussi, ce qui est moins connu, aux thèses antisémites d’extrême-gauche et d’extrême-droite importées d’Europe, comme le montre la charte même du mouvement terroriste palestinien qui a déclaré la guerre totale non seulement à Israël mais aussi aux nationalistes plus laïques de l’Autorité palestinienne et aux États musulmans modérés. Citons seulement ces passages du Préambule du Hamas (1): « Israël, parce qu’il est juif et a une population juive, défie l’islam et les Musulmans, car la conspiration sioniste n’a pas de limites. Leur projet a été énoncé dans les Protocoles des Sages de Sion […], les ennemis juifs complotent depuis longtemps […] ils ont été à l’origine de la révolution française, […], de la première guerre mondiale et de la seconde, au cours de laquelle ils ont réalisé d’immenses bénéfices » (2). La Charte du Hamas englobe pêle-mêle, dans la même démonologie du Complot judéo-maçonnique propre aux Nazis et aux adeptes rouges-bruns-verts des thèses conspirationnistes, les Scoots, le Rotary Club, le kémalisme, Atatürk, la Révolution française, la finance juive, l’Eglise, la franç-maçonnerie, l’idéologie du colonialisme, l’impérialisme et le judaïsme mondial conçu comme le sommet de l’Iceberg. On ne rappellera jamais assez que la progression et la banalisation de l’idéologie à la fois « anti-impérialiste », totalitaire et pathologiquement judéophobe à l’intérieur des sociétés arabo-musulmanes, est le résultat de 60 années d’une double propagande rouge et brune distillée par les révolutionnaires européens de tous poils dans les pays arabes, en Iran, jusqu’au Pakistan ou à la Turquie du Premier Ministre R.T. Erdogan qui vient de révéler son vrai visage pro-Hamas lors d’une sortie musclée durant le Forum économique de Davos. En réalité, la propagande judéophobe et rouge-brune commença à travailler le monde islamique anciennement colonisé à partir des années 30-40 avec le Grand Mufti de Jérusalem, les Chemises vertes égyptiennes pro-nazies, puis durant les années 50-60 avec la reprise de service de centaines de dignitaires nazis dans les pays arabes (dont le fameux Johannes Von Leers, devenu Omar Amine, qui assurera la diffusion massive dans le Dar el Islam des Protocoles des Sages de Sion et du Testament politique d’Hitler. On retrouve aujourd’hui cette rhétorique pathologiquement anti-juive et pas seulement anti-israélienne au c½ur même de la propagande d’État de la République islamique iranienne chiite, qui finance et soutient non seulement le Hezbollah chiite libanais mais aussi le Hamas, bien que ce dernier soit sunnite.

Mais il serait à la fois réducteur et injuste de limiter ce renouveau totalitaire et cette nouvelle « déraison » antisémite aux seuls pays arabes. On la retrouve en réalité dans l’ensemble du tiers-monde et notamment en Amérique latine, tant à Cuba qu’en Bolivie, et surtout au Venezuela du révolutionnaire « bolivariste » pro-iranien Hugo Chavez, ami et soutien de toujours de Mahmoud Ahmadinejad.

La convergence anti-sioniste radicale entre Rouges, Bruns et Verts est flagrante : les premiers rejettent, par internationalisme, l’idée même d’une nation israélienne, d’autant plus insupportable que le peuple juif n’intéressait la Gauche internationaliste que lorsqu’il était un peuple-victime dont la souffrance instrumentalisée servait à discréditer le fait national. Pour les antisionistes d’extrême droite, la figure du « juif apatride », incapable d’accéder à la conscience étatique, est a contrario perçue comme idéologiquement et structurellement incompatible avec celle d’une nation israélienne souveraine et viable, fusse-t-elle gouvernée par la Droite dure israélienne. Pour les islamistes enfin, ce qui est insupportable, outre la présence même de Juifs en terre ex-musulmane, c’est la reconstitution, en 1948, d’un espace juridico-politique « infidèle » souverain imposant sa loi aux Musulmans en plein c½ur du dar al-Islam (« territoire de l’islam »). Pour eux, Al-Qods ne saurait devenir la capitale de l’État israélien et il est impensable que des Musulmans autochtones soient gouvernés par d’anciens dhimmis juifs, qui devaient y résider en « humiliés » et en soumis (dhimmis) comme le prévoit le Coran (IX-29). Les motivations antisionistes et judéophobes des Verts, essentiellement théologiques, sont au départ différentes des mobiles antisémites bruns et des postures antisionistes rouges, mais elles convergent dans le même rejet de l’impérialisme judéo-sioniste allié au Satan américain, incarnation suprême du capitalisme et du néo-colonialisme occidental.

La « coalition critique » ou la force du Ressentiment

Depuis la chute du Mur de Berlin et la fin de l’URSS, ex-sponsor des révolutionnaires tiers-mondistes, cette posture d’alliance des « déshérités » rouges et verts, inaugurée par les islamistes chiites iraniens, a séduit jusqu’aux islamistes sunnites les plus conservateurs et jadis anti-communistes, ainsi qu’on le constate avec la nouvelle stratégie de mobilisation d’Al Qaïda en direction des révolutionnaires de tous horizons dans le cadre d’un vaste front anti-impérialiste, censé convertir à terme les alliés « infidèles » de circonstance. Ainsi, dans son discours-vidéo du 19 mars 2008, Oussama Ben Laden courtisait explicitement les No Global et rendait hommage à l’intellectuel trotskiste anti-impérialiste Noam Chomsky, accusant les démocraties capitalistes d’être responsables du réchauffement de la Planète. Après avoir récupéré la cause passée du Vietnam et déploré, comme les Altermondialistes, la non-observation par les Etats-Unis de l’accord de Kyoto, évoquant « la mort et l’exode de millions d’êtres humains en raison [du réchauffement], en particulier en Afrique », Oussama Ben Laden prenait la tête d’une nouvelle Jacquerie mondiale contre « les dirigeants de l’occident, en particulier l’ex-président G. Bush, l’ancien Premier Ministre Tony Blair, Nicolas Sarkozy et Gordon Brown », puis dénonçait, tel l’Hôpital se moquant de la Charité, « l’esclavage des moines, des rois et du féodalisme, le Moyen-Age […], dont vous vous êtes débarrassés », invitant les Occidentaux à se « libérer du mensonge, des fers et de la pression du système capitaliste, […qui] cherche à transformer le monde entier en un fief pour les grandes entreprises, sous l’étiquette de la globalisation afin de protéger la démocratie » (3). Des appels rouges-verts révolutionnaires qui seront entendus par nombre de Rouges et de Bruns, subjugués, même lorsqu’ils n’osent l’avouer ouvertement ou l’écrire, par le bellicisme sans limites et la témérité du nouveau Che Guevara de l’Islam. Partout dans le monde, on a pu constater la réactivation ou l’émergence de ces nouvelles configurations radicales, révolutionnaires et revanchardes, tournées contre tout ce que représente l’Occident « arrogant ». Des forces de « l’hyper-radicalisme » qui s’incarnent tant dans la posture anti-occidentale du Vénézuela d’Hugo Chavez (4) que dans les provocations de la Corée du Nord, de Téhéran, des nationalistes ex-soviétiques « humiliés », et des No Global, que dans celle de l’Islamisme révolutionnaire salafiste. Celui-ci est certes divisé et multiforme, mais il entend bien fédérer puis capitaliser la masse mondiale du Ressentiment anti-« américano-sioniste », plus à la mode que jamais et disponible sur le Marché en quantité inégalée.

La culture du ressentiment et la volonté de revanche furent, dans les années 30, les moteurs de la propagation de l’idéologie nazie. Elles constituent le terrain privilégié des totalitarismes conduisant aux solutions finales, en l’occurrence celle, annoncée, du nouveau Juif Global qu’est l’Occident judéo-chrétien. Le philosophe allemand Hans Magnus Enzensberger décrit le profil-type des « Perdants radicaux » coalisés (5) : les vaincus de l’Histoire qui n’acceptent pas que leur civilisation ou leur idéologie totalitaire ne domine plus les Autres et qui compensent leur complexe d’infériorité vis-à-vis du monde occidentalo-capitaliste, vainqueur des guerres mondiales et de la Guerre froide, par un sentiment de pseudo supériorité exprimé convulsivement. Les nostalgiques du Totalitarisme brun, frustrés par l’anéantissement du Reich et le bannissement des thèses nazies en Occident (pour eux un Occident « enjuivé » et « maçonnique ») se recyclent de plus en plus dans le philo-islamisme anti-occidental. Les nostalgiques du totalitarisme rouge compensent le discrédit des thèses marxistes et la déconfiture de l’ex-URSS par l’exaltation des révolutions plus présentables ou exotiques, « bolivarienne », « zapatiste », néo-trotskistes tiers-mondistes, « néo-guévaristes » – d’où l’étonnante mode renaissante du « Che » en Europe – ou autres No Global plus ou moins écolos, n’hésitant pas à noyer parfois le Rouge originel dans du Verdâtre environnementaliste. Quant aux nostalgiques du Califat de Bagdad ou de Cordoue, chers à Oussama Ben Laden, ils vantent un Age d’Orscientifique et philosophique arabe qui n’a d’égal que l’arriération actuelle des pays où est appliquée la Charià. Ils compensent leur extrême frustration de voir la Modernité et le Monopole de la Puissance leur échapper par un refuge dans l’Utopie califale. Une mythification du passé se traduisant par un dégoût du présent et donc une violence tout autant tournée contre leurs propres populations que contre les Infidèles, bouc-émissaires diabolisés : Juifs-Croisés-Impérialistes-Francs-maçons, etc. Pour les « fascistes verts » ou « Ur-fascistes » décrits par Umberto Ecco, qui exaltent en permanence l’Age d’Or chimérique de Bagdad et d’Al Andalus, le retard du monde musulman et l’abolition du Califat par « l’apostat » Atatürk ne seraient que l’aboutissement d’un « complot judéo-maçonnique-impérialiste », le fruit d’une responsabilité extérieure et donc d’une conspiration des ennemis de l’Islam qui « humilient et oppriment les Bons Croyants ». C’est que, refusant toujours ses responsabilités propres, le Perdant Radical « ne se résigne pas à ce que ses jours de Gloire sont terminés depuis longtemps ; il accepte très difficilement la perte de pouvoir ; […]. A n’importe quel moment, le perdant radical peut exploser ; il suffit d’un regard, d’une plaisanterie ; Les sentiments des autres sont sans importance alors que les siens sont sacrés. L’irritabilité du Perdant radical croît proportionnellement à l’amélioration qu’il note chez l’Autre » écrit Magnus Enzensberger (6). C’est à peu près ce qui est en train de se produire dans les rassemblements irano-vénézuéliens, les axes syro-irano-russo-chinois, ou la prolifération de la révolution bolivarienne dans tout le Continent latino-américain. Dans Une brève histoire de l’Avenir, Jacques Attali semble rejoindre le philosophe de l’Ecole de Francfort lorsqu’il décrit la « coalition critique » qui noue et regroupe contre l’Amérique et l’Ordre marchand, donc contre l’Occident euro-américain en général et contre le Monde Libre, « tous ceux qui n’en attendent plus rien ou qui sont frustrés de ne pas en recevoir les bénéfices. Ils critiqueront pêle-mêle l’Amérique, l’Occident, la globalisation, la démocratie de marché et l’hyperempire en devenir. Antimondialistes de tout poil, la plupart n’auront rien à proposer à la place. » (7). Conscient du fait que le vide de sens des sociétés post-modernes sera de plus en plus comblé par un retour du religieux convulsif et des pensées théocratiques-radicales, Attali pronostique que « l’Islam recueillera de plus en plus d’échos chez nombre d’isolés, de faibles, de vaincus, de révoltés. Il mènera une action sociale auprès des plus démunis, proposant de leur fournir ce que le marché n’offre pas : des formes concrètes de solidarité, de charité, de dignité permettant d’échapper à la solitude et d’espérer un paradis » (8). Une force des ressentiments fédérés avec laquelle il faudra compter et qui n’est pas prête de s’apaiser, tant qu’elle n’aura pas réussi à détruire l’objet affaibli de sa convoitise et de sa jalousie : l’Occident libéral, au sein duquel les forces subversives brunes et rouges agiront comme un véritable Cheval de Troie…

Foncièrement réactif et revanchard, le ressentimental, animé de ce que Nietzsche nommait la « morale d’esclave », est par essence frustré par sa situation d’impuissance face à l’objet de son envie. L’homme de ressentiment se complait dans son état paranoïaque. Il refuse de dépasser son désir de vengeance qui devient obsession et moteur fatal. Comme pour les individus, les entités politiques ressentimentales expliquent leur état d’impuissance par des justifications externes. La mentalité ressentimentale, individuelle ou collective, repose sur l’axiome : « ils sont méchants, donc nous sommes bons ». L’Autre est à la fois secrètement admiré et jalousé, et ce double sentiment attise encore plus la haine du Perdant radical, qui assimile toute critique, toute invitation à la remise en questions, tout échec, à une « humiliation » suprême que l’Autre jalousé ou le traître qui l’écoutent devront payer au prix du sang. « Le fascisme se développe mieux dans un peuple autrefois fier, et récemment humilié, écrit Victor Davis Hanson. Ce que Versailles et les réparations ont été pour l’Allemagne nouvelle d’Hitler, ce que le colonialisme et la condescendance de l’Occident ont été au Japon du Soleil Levant, Israël, le modernisme, et l’omniprésente culture pop de l’Amérique ubiquiste le sont aux islamistes, confiants en une renaissance grâce à l’énorme richesse en pétrodollars. Ce fascisme […] n’est pas tout à fait l’opium des désespérés, mais plutôt celui d’un raté récent, prêt à gober une réparation « rapide et bon marché », consistant à blâmer les autres, et qui se vante de sa volonté de fer » (9). Ce thème est si porteur au sein des masses islamiques gagnées par le ressentiment, que les chefs d’Etat musulmans eux-mêmes les plus menacés par l’islamisme préfèrent, tels Khadafi, Al Assad, Boutéflika, pour rester populaires et ne pas passer pour de « mauvais musulmans », complices des « impérialistes-infidèles », frôler les crises diplomatiques et risquer de compromettre le présent plutôt que de cesser d’exiger, au nom de cet Age d’Or perdu et de leur humiliation entretenue, toujours plus « d’excuses » et de contritions. Culpabilisés par le discours ressentimental, les chefs d’Etats européens retombent toujours dans le piège du mythe de la « dette occidentale » envers la « science arabe » et s’engouffrent dans la spirale des sempiternelles repentances vis-à-vis de l’humiliation coloniale. A ce titre, l’accueil glacial réservé au Président français Nicolas Sarkozy en Algérie début décembre 2007 a bien montré que, pour pouvoir signer des contrats et conserver un semblant de bonnes relations avec les pays musulmans anciennement colonisés, les chefs d’Etats européens les plus lucides et réfractaires à la « repentance » perpétuelle, comme Nicolas Sarkozy, sont à un moment ou à un autre contraints de refaire le procès du passé colonial de l’Europe. Une Europe amnésique qui n’a étonnamment jamais songé à exiger en contre-partie que les Etats musulmans et les organisations islamistes, ouvertement nostalgiques de l’occupation de l’Europe du Sud par les Califats, et aucunement culpabilisés par les razzias et pirateries barbaresques qui terrifièrent jusqu’au XIXème siècle la Méditerranée, s’excusent à titre de réciprocité, pour le colonialisme arabo-islamique passé (Al-Andalus, Sicile et Horde d’Or au Moyen-Age, Balkans, Inde…), et surtout présent (génocide au Soudan, Jihads d’Erythrée, de Somalie ou du Timor Oriental). Il suffit pourtant de séjourner à Malte, dans le Sud de l’Italie, en Espagne, à Chypre, en Grèce ou dans les Balkans pour constater à quel point le souvenir, pas si lointain, de douze siècles (de 711 à 1918), de colonisation arabo-islamique a également traumatisé les consciences européennes et laissé des traces jusque dans les coutumes et représentations populaires. Or le mérite de l’Occident moderne réside justement dans ce dépassement du ressentiment qui caractérise, selon Nietzsche (10), la véritable force de l’homme. On pourrait également répondre à la Ligue arabe et aux Etats et organisations islamiques mondiales – qui conditionnent toute paix avec Israël et reconnaissance de l’Etat hébreu au « retour » des réfugiés palestiniens et de leurs progénitures dans les territoires – que les millions de Juifs chassés des pays arabes et musulmans depuis les années 30, dans un contexte de flirt vert-brun, mériteraient eux aussi « réparations et excuses ».

Mais tout se passe comme si l’Europe post-totalitaire, se croyant forte parce qu’elle dépasserait ses ressentiments à l’égard de l’Islam, était tombée dans l’excès opposé à celui des Totalitaires, psychologiquement terrifiée et subjuguée qu’elle est par les reproches de la Coalition des revanchards, et cédant au principe d’unilatéralité afin de ne pas augmenter leurs susceptibilités et de calmer leur haine ardemment entretenue puisque « rentable »…

Ahmadinejad/Ben Laden : la nouvelle solution finale des Judéo-croisés

Le « génie » de Mahmoud Ahmadinejad, véritable parrain et donneur d’ordres du Hezbollah et du Hamas, a été de relancer et de re-légitimer au niveau planétaire, comme d’ailleurs d’Oussama Ben Laden, la « déraison antisémite » dont parle Jean Pierre Faye, en l’occurrence une nouvelle ire anti-juive globale à prétention génocidaire, déculpabilisée par la défense de la Oumma et de la Palestine transfigurée. Une vindicte sacrificielle judéophage et occidentalophage transportée par un messianisme islamique apocalyptique. Ecoutons plutôt l’un des principaux ayatollah du régime khomeyniste, Hussein Nouri Hamadani, expliquant en 2005 : « Les Juifs doivent être combattus et mis à genoux pour créer les conditions pour le retour de l’Imam caché [Le Mahdi…]. Aujourd’hui la politique des Juifs représente pour nous un danger. Le péril juif doit être expliqué au peuple et à tous les Musulmans. Jusqu’à la venue de l’Islam, le groupe qui s’est le plus opposé à lui et qui continue à s’opposer à lui sont les Juifs. Ils ont été impliqués dans les guerres contre le Prophète à Khaybar, la bataille de Uhud e Ahzhab (où les troupes mahométanes tuèrent 650 Juifs de la Tribu des Banu Qurayza, ndla). Depuis toujours, à cause de leur cupidité, les Juifs ont poursuivi l’accumulation des richesses, ont toujours obtenu des positions importantes, et ont toujours accumulé toutes les richesses du monde en un seul endroit et tous, en particulier les États-Unis et l’Europe, sont leurs valets »… (11) Ce genre de déclarations parfaitement conformes à l’idéologie islamiste révolutionnaire montre bien que les partisans d’une nouvelle Solution finale n’en veulent pas qu’aux Israéliens « persécutant les Palestiniens », mais aux Juifs du monde entier en tant que tels, indépendamment même de tout sionisme actif. Rappelons que l’engagement pro-palestinien en faveur de la « libération totale » de la Palestine est existentiel chez le président iranien comme chez les Salafistes. Son antisémitisme est confirmé par ses biographes non comme résultat réactionnel de l’anti-sionisme, mais comme le fruit d’un anti-judaïsme canonique, « particulièrement présent dans les quartiers déshérités où il a grandi » (12).

Les déclarations menaçantes et haineuses d’Ahmadinejad et du  »guide spirituel iranien », l’ayatollah Ali Khamenei, relatives à Israël et aux Juifs, ont suscité l’indignation de la plupart des chancelleries occidentales et même de certains pays arabo-musulmans eux-mêmes. Mais il faut garder à l’esprit qu’elles ont été prononcées sciemment, autant pour effrayer Israël et l’Europe munichoise, que pour plaire aux masses musulmanes travaillées depuis des décennies par un nouveau bréviaire de la haine anti-juive et par ses outils propagandistes importées par les Rouges et les Bruns. D’où la tenue à Téhéran, en décembre 2006, d’un Congrès mondial où les négationnistes du monde entier – et parmi eux nombre de nazis européens et américains – ont été mis à l’honneur. Là, en territoire islamique déculpabilisé et décomplexé, ils pouvaient à nouveau dire avec des accents nostalgiques de la Grande messe de Nuremberg, ce que la Loi et la morale humaniste leur interdisent d’exprimer en France et en Europe. Les « congrès scientifiques» régulièrement organisés à Téhéran avec les nazis du monde entier pour nier l’Holocauste rappellent étrangement le Congrès historique et scientifique anti-juif organisé sous le patronage de Himmler sur demande d’Alfred Rosenberg et d’Hitler, en juillet 1944, et dont les thèmes abordés sont à l’ordre du jour de la Mollarchie ahmadinejadienne : « le juif et l’assassinat politique » ; « les Juifs et la politique mondiale actuelle » ; « les Juifs dans le mouvement franc-maçon en Italie » ; « lecture par le Grand Mufti de Jérusalem : la Palestine, un des centres mondiaux des projets d’hégémonie juive » (13). Comme l’a écrit le politologue italien Carlo Panella, dans Il Fascismo Islamico, « il existe une profonde similitude entre ce que théorisa Hitler et ce que théorisa et plus tard mit en acte un leader fondamentaliste comme Khomeiny, et aujourd’hui Mohammad Ahmadinejad. Le caporal autrichien réussit à rentrer en symbiose avec le peuple allemand en relançant la culture national-populaire dans la prospective d’une révolution antisémite, de l’extermination de l’ethnie hébraïque. Ahmadinejad démontre aujourd’hui une capacité similaire et diabolique d’entrer en symbiose avec la communauté musulmane en relançant, à travers le projet de destruction de l’entité sioniste par voie atomique, une culture fondamentaliste sédimentée durant les soixante-dix années précédentes » (14). Par la réactivation d’un discours pathologiquement antisémite et israëlophobe, l’Iran d’Ahmadinejad escompte redorer son blason au sein d’un monde arabo-musulman majoritairement sunnite trop souvent anti-chiite, mais aussi auprès des Forces mondiales du Ressentiment anti-américano-sioniste. Téhéran entend ainsi récupérer la vague de fond antisémite qui, de l’Indonésie, de la Malaisie ou de la Turquie au Maroc en passant par l’Asie centrale et les pays arabes, est de plus en plus populaire et va de pair avec la montée toute aussi générale de l’Islamisme. Rappelons brièvement la teneur des propos néo-négationnistes et pré-génocidaires lancés à l’adresse des Nations depuis Téhéran : Le 8 décembre 2005, Mahmoud Ahmadinejad proposait  »…d’offrir aux Sionistes un territoire en Europe. Les pays européens affirment qu’Hitler a tué et brûlé des millions de Juifs. [Dans ces pays], on peut être jeté en prison pour affirmer le contraire. Même si tout cela était vrai, cela serait à l’Allemagne de réparer. Il n’y a pas de raison que les Palestiniens payent le prix de l’oppression des Juifs par Hitler ». Peu après, l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la République islamique d’Iran, lui emboîtait le pas, déclarant « qu’il n’y a pas de raison que les Palestiniens payent le prix de l’oppression des Juifs » . Non mécontent de l’effet médiatique qu’il avait produit, Mahmoud Ahmadinejad définissait, sur la télévision iranienne, la Shoah comme « un mythe sur le massacre de Juifs » et a proposé aux Juifs de fonder un Etat « en Europe, au Canada ou en Alaska ».

Après avoir défrayé la chronique par des déclarations scandaleuses concernant la nécessité de « rayer Israël de la Carte », le « mythe de la Shoah », ou encore la possibilité, pour Téhéran, d’infliger « des claques nucléaires terribles à l’Occident » en cas d’attaques américaines, le Président iranien écrivit une « Lettre au Président George Bush » dont les messages subliminaux semblent avoir été scientifiquement conçus pour électriser les Rouges et les Bruns par un Vert révolutionnaire attrape-tout. Dans cette « lettre », Ahmadinejad, grand rival d’Oussama Ben Laden dans la « contre-croisade », joue clairement la carte des divisions inter-occidentales, de l’anti-américanisme et des potentialités révolutionnaires multiples afin de légitimer sa révolution islamique mondiale et rallier à sa cause tous les « déshérités » (Mustadhafin). Citons par exemple les passages destinés à séduire l’Extrême droite, les Révisionnistes, les anti-américains ou antisionistes radicaux : « Les pays [occidentaux vainqueurs] prétendirent que six millions de Juifs avaient été tués. Doivent-ils se traduire par la création de l’Etat d’Israël en plein Moyen-Orient, au prix de milliers de personnes ayant perdu la vie, de millions d’indigènes transformés en réfugiés ; de centaines de milliers d’hectares de terres agricoles, d’oliveraies, des villes et des villages ont été détruits ; […] Le 11 septembre n’a pas été une opération comme n’importe quelle autre. Aurait-elle pu être planifiée et exécutée sans une coordination avec des services de renseignementet de sécurité ? ». Conscient de la montée de l’extrême gauche en Amérique latine, des ressentiments africains anti-colonialistes, puis du mouvement altermondialiste en Europe, Mahmoud Ahmadinejad instrumentalise les potentialités révolutionnaires tiers-mondistes rouges: « Les Latino-Américains n’ont-ils pas le droit de se poser la question de savoir pourquoi leurs gouvernements démocratiquement élus sont contrés et les leaders golpistes soutenus ? Les Africains ne sont-ils pas fondés à demander pourquoi leurs énormes ressources – notamment minières – sont en train d’être pillées […]. Le gouffre va sans cesse s’élargissant entre les possédants et les indigents, entre les pays riches et les pays pauvres. […]. Le libéralisme et la démocratie de style occidental n’ont pas été capables de contribuer à la réalisation des idéaux de l’humanité. A travers la foi en Dieu et les enseignements des prophètes, les hommes pourront surmonter leurs problèmes ».

Comme Kadhafi, Arafat, ou Castro, Ahmadinejad a toujours refusé de se présenter comme le chef d’Etat de son pays, mais comme un « combattant révolutionnaire », désargenté et refusant de porter l’insigne embourgeoisé et occidental de la cravate. Mais ses tentatives visant à rejoindre le bloc des nouveaux Non-Alignés et à séduire les idiots-utiles de la Gauche occidentale anti-mondialisation, voire des « anti-fascistes », ne trompent personne. La carapace rouge et verte du régime des Mollahs masque de moins en moins le noyau noir-brun nazifiant. Les discours réactionnaires et impérialistes du maître spirituel et formateur même d’Ahmadinejad, l’Ayatollah Mesbah-Yazdi, qui célèbre le « retour du Mahdi » dans le cadre d’un « gouvernement islamique planétaire » et de la « bataille finale », et se vante de vouloir « convertir le monde entier à l’islam », apportent un démenti explicite aux discours « altermondialistes » et anti-impérialistes de Mahmoud. Théoricien de la violence, Yazdi incarne la branche conspirationniste et messianique morbide du régime, déniant toute légitimité au suffrage universel et allant jusqu’à critiquer la nature même de la république islamique, concept encore trop laïque. Le slogan préféré de Yazdi : « un Etat, un Guide », « résonne étrangement comme un écho des années trente dans l’Allemagne nazie » (15).

Lors d’un voyage aux Etats-Unis en septembre 2007, dans le Cadre des Nations Unies, le président iranien et ancien pasdaran terroriste Ahmadinejad, véritable autorité suprême du Hezbollah, affirmait dans la même veine et dans le plus pur style stalinien de la langue de bois, qu’il « n’y a pas d’homosexuels en Iran » (16) … Analogie saisissante avec la période national-socialiste, on constate que le Nouveau Bréviaire de la haine verte englobe dans une même détestation et une même négation d’essence génocidaire, comme jadis Hitler : l’Infidèle récalcitrant, l’Apostat, le Juif, le Sous-homme, l’Homosexuel, l’Impérialiste, le Franc-maçon, le Ploutocrate, et les minorités en général. De sorte que la lutte que devront tôt ou tard mener les dirigeants musulmans pour venir à bout de l’islamisme radical devra nécessairement passer non seulement par une réforme de la théologie musulmane – jamais révisée depuis le dixième siècle et justifiant inégalités et violences licites – mais tout autant par une véritable dénazification et auto-critique anti-totalitaire. Une besogne de nature psychologique autant qu’idéologique, car la mentalité totalitaire a une propension naturelle à accabler l’Autre de ses propres responsabilités, à combattre chez l’Autre ce qu’elle commet elle-même sans complexe (dénonciation des crimes rituels, de l’homosexualité, que de nombreux nazis homophobes pratiquaient aussi), et en fin de compte à tout expliquer par la dénonciation du Bouc-émissaire diabolisé, l’Autre inhumain contre lequel toute violence barbare est licite.

(1) Le Mouvement de la Résistance islamique (Harakat Al Mouqawama Al Islamiyya ; acronyme Hamas, « enthousiasme »), fut créé par cheikh Yassine et la branche palestino-jordanienne des Frères musulmans, en lien avec l’organisation mère en Égypte, en 1987, après la première Intifada, cf Dictionnaire Mondial de l’Islamisme, ibid.p. 226.

(2) Charte d’Allah, plate-forme du Mouvement de la résistance islamique (Hamas), 18 août 1988.

(3) « Le message de Ben Laden », intervention vidéo ; 8 septembre 2007 ; http://contreinfo.info/article.php3?id_article=1223

(4)Alexandre del Valle,« Les rouges-bruns-verts, d’Ahmadinéjad à Chavez», France soir, 20 septembre 2007.

(5) Hans Magnus Henzensberger, Il Perdente Radicale, Giulio Einaudi Editore, Turin, 2007.

(6) Hans Magnus Henzensberger,ibid, p. 23.

(7) Jacques Attali, Une brève histoire de l’Avenir, Fayard, 2007, p. 314-315.

(8) Jacques Attali, idem.

(9) « Il Fascismo islamico», National Review Online, 29 settembre, 2006.

(10) Voir sa magistrale Généalogie de la Morale, également Max Scheler, L’Homme du ressentiment, Gallimard, réédition 1970. Marc Angenot, dans Les Idéologies du ressentiment (1996), en fait l’un des vecteurs des idéologies identitaires et nationalistes modernes.

(11) Carlo Panella, Il Fascismo Islamico, perchè l’Iran minaccia la libertà dell’Occidente, Rizzoli, Milano mars 2007, p. 71.

(12) Michel Taubmann, La Bombe et le Coran, une biographie du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, Editions du moment, Paris 2008, p. 33.

(13) Extraits du programme du Congrès anti-juif international « les Juifs et la politique mondiale de notre époque », documents secrets du Reich, in Le Haut Comité Arabe, ses origines, ses membres, ses buts ; documents d’archives soumis aux Nations Unies, en mai 1947, par « Nation Associates », Les éditions de la terre retrouvée, Université alliance ISR, 20, Vesey Street N.Y. City, traduit de l’anglais par Paul Giniewski.

(14) Carlo Panella, Il Fascismo islmamico, ibid, p. 21.

(15) Michel Taubmann, La Bombe et le Coran…, ibidem, p. 118.

(16) Discours d’Ahmadinejad à l’Université Columbia, septembre 2007. Sachant que l’Iran exécute des homosexuels chaque année… Ahmadinejad ne connaissait de l’étranger, avant son élection, que la Corée du Nord où il effectuait des missions secrètes liées au terrorisme… C’est là qu’il rencontra le chef du Hezbollah, Nasrallah, lors d’un « stage de formation » au sein des services du dernier régime stalinien du globe…

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