Une décennie reussie ?

Bon débarras ! Voilà comment nous pourrions fêter la fin de cette décennie. Pour Israël, elle avait débuté avec de grands espoirs de paix avant que les attentats suicides palestiniens ne les réduisent en cendre. Une ère marquée par la mort et le désengagement. Retour en arrière. Le 1er janvier 2000, des milliards de personnes à travers le monde célèbrent le nouveau siècle. A cette occasion, Bethléem est le témoin d’une scène évocatrice. L’Autorité palestinienne célèbre ce que les journalistes appellent alors une « nouvelle aube » en relâchant 2 000 colombes dans les airs. Mais les volatiles, en réalité des pigeons, seront affolés par le feu d’artifice tiré juste après. Nombreux plongent vers la mort au son de l’hymne de Beethoven Ode à la joie. Maad Abou-Ghazalah, un Palestinien-américain témoin de la scène, note alors avec ironie que les oiseaux, symboles de paix, sont devenus celui de la mort. Les résidents de Bethléem ne peuvent s’empêcher de répondre : « L’Autorité palestinienne ne respecte pas son propre peuple ! Que pouvez-vous espérer pour quelques pigeons ? »

134 victimes pour Pessah 2002 (Pâque Juive)

Neuf mois plus tard, Yasser Arafat, alors chef de l’Autorité palestinienne, montre encore davantage d’égard vis-à-vis de son peuple et de ses voisins en lançant ce que les Palestiniens appellent « l’Intifada » ou ce que nous devrions appeler la guerre de terreur contre le processus de paix. A partir de septembre 2000, le terrorisme devient l’une des données phares du siècle. De son côté, Israël reste toujours hanté par une cruelle trahison. Tel un boomerang, les attentats se retournent contre l’Etat hébreu rendu responsable du virage des Palestiniens vers la violence. Chacune de ses réponses légitimes à la terreur sera vivement condamnée. Pendant des mois, Israël ne réussit pas à protéger ses citoyens dans ses rues, ses cafés, ses bus ou ses bat-mitzva. La violence atteint son paroxysme en mars 2002, quand des terroristes massacrent 134 innocents, dont 30 en train de célébrer le Seder de Pessah. Des événements inscrits dans le marbre des mémoires israéliennes. Le Premier ministre Ariel Sharon change alors de dynamique.

Au lieu de réagir ponctuellement à la terreur, il lance l’opération « Bouclier défensif » pour combattre le terrorisme dans son terreau : les Territoires de Judée-Samarie. Mais nous oublions que Sharon était déjà à son poste depuis une année alors que des Israéliens se faisaient massacrer. Nous oublions aussi qu’il a fallu un tremblement de terre international, le 11 septembre 2001, pour mobiliser les Juifs américains et sensibiliser au fléau terroriste le président de l’époque, George W. Bush. Mais il a fallu encore un mensonge flagrant, celui de Yasser Arafat en janvier 2002 à propos de la cargaison d’armes du Karine A pour que le locataire de la Maison Blanche raye l’homme au keffieh de sa liste des « partenaires de paix » et donne à Israël le feu vert pour attaquer.

L’Etat hébreu a finalement gagné cette guerre contre les Palestiniens mais le bilan est lourd : plus de 1 000 victimes israéliennes et une position sur la scène politique internationale fortement mise à mal. La victoire a un goût amer. La campagne mondiale antisioniste des Palestiniens, soutenue par de nombreux intellectuels, s’est appuyée sur de sombres relents antisémites. Et les poseurs de bombes ont forcé Israël à construire une barrière de sécurité pour faire tampon avec les territoires palestiniens. L’expression d’une désillusion. Pour la droite, celle qu’Israël pouvait se permettre d’ignorer les Palestiniens. Pour la gauche, celle que ces derniers étaient prêts au compromis.

Syndrome post-traumatique

Yasser Arafat est mort en novembre 2004. En août 2005, Ariel Sharon donne un gage de bonne volonté en se retirant de la bande de Gaza, foyer de 7 000 Israéliens. La demi-décennie de mort prend fin, l’ère du désengagement débute. Mais elle est tragiquement tombée à plat. Même si le nombre de soldats tués à Gaza a chuté, la bande de Gaza s’est retrouvée aux mains du Hamas, qui a pris possession du territoire par la force. Nouveau tremplin pour arroser de roquettes le Néguev. Israël a patiemment fait face durant des années avant de répondre. Par ailleurs, au lieu d’assurer une réintégration réussie des évacués du Goush Katif et ainsi préparer l’opinion à de futurs retraits, l’expérience s’est avérée traumatisante. Quatre ans plus tard, de nombreux ex-habitants de Gaza naviguent toujours entre des logements temporaires.

Après l’attaque cérébrale d’Ariel Sharon en janvier 2006, les Israéliens vont vivre un autre type de désengagement. L’Etat hébreu souffre alors d’un syndrome que l’on pourrait qualifier de post-traumatique. Selon le Dr Patti Levin, un psychologue basé à Boston, lorsque les individus n’expriment pas à haute voix leur traumatisme, ils s’enferment dans un cercle vicieux. Les Israéliens se sont retrouvés prisonniers dans un état de victimes. L’ère Olmert s’est ainsi inscrite dans ce stress collectif post-traumatique. De nombreux Israéliens se sont résignés devant un processus de paix fictif, des leaders corrompus et une hostilité internationale grandissante. Ils écoutent aujourd’hui d’une oreille distraite les nouvelles de Kol Israël.

L’individualisme à l’Occidentale a avancé ses pions, torpillant les vieux rêves sionistes. Les deux guerres de l’ère Olmert, au Liban en 2006 et à Gaza en 2008, ont placé la région dans la catégorie de celles qui tremblent à intervalle régulier. Face à ces épreuves, Israël offre aux terroristes la plus belle des revanches : vivre et prospérer. L’économie de l’Etat hébreu a moins souffert de la crise mondiale que de nombreux autres pays. Israël continue de caracoler en tête de l’industrie high-tech, comme le montrent Dan Senor et Saul Singer dans leur ouvrage Nation Start-Up. Pour le professeur de Harvard Ruth Wisse, Israël est l’expression d’une « hypocrisie inversée ». Les hypocrites ont une belle rhétorique mais échouent à la mettre en pratique. Les Israéliens, eux, agissent plus noblement que leur rhétorique, malgré ceux qui les dénigrent. A l’heure où Israël quitte cette décennie de mort et de désengagement, le défi consiste aujourd’hui à poursuivre la mission biblique. L’Etat hébreu est né dans le chaudron du terrorisme. Avec un peu de chance, la prochaine décennie permettra aux Israéliens de se consacrer à eux-mêmes, à leur société. Il serait temps….

L’auteur est professeur d’histoire à l’université McGill.

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