Une surenchère d’images chocs comme seule explication à la complexité du conflit. Un père brandissant la dépouille de son enfant dans Le Figaro, les cadavres de cinq sœurs à la une de L’Humanité, le 30 décembre dernier. Des photos d’enfants terrorisés en première page de Libération. Dans son édition de la première semaine de janvier, Paris-Match fait aussi le pari du sensationnel.
Des images qui plantent d’emblée le décor : celui de l’émotion. Un sentiment humain certes, mais qui brouille complètement les esprits, rendant impossible une couverture objective du conflit. Certains quotidiens français ajoutent les mots aux photos et ont clairement choisi leur camp : « Les calculs sordides et meurtriers de Tel-Aviv », titre le journal communiste L’Humanité. Le déluge d’images, souvent mises en scène, commence même à provoquer la consternation chez certains journalistes.
Interviewé dans La Croix, Jean-Claude Guillebaud, ancien grand reporter, exprime son écœurement : « J’ai toujours été choqué par cette complaisance à montrer l’horreur », et explique : « Il y a toujours une intention derrière l’image. Il faut apprendre à la débusquer, à la comprendre, à garder ses distances. »
Un exercice impossible pour le lecteur français complètement englouti par ce « vent de folie qui semble, une fois de plus, comme toujours quand il s’agit d’Israël, s’emparer de certains médias », dénonce Bernard Henri-Lévy, dans une tribune parue dans l’hebdomadaire Le Point. Comme pour se défendre de cette frénésie devenue incontrôlable, les journalistes français « frustrés » évoquent le « blocus médiatique » imposé par Israël aux journalistes étrangers : « Les reporters privés du théâtre de la guerre », titre Libération. « C’est du reportage de guerre… version journalisme potager ! », ironise L’Express, pour qualifier le travail de ceux bloqués dans le sud de l’État hébreu.
Certains médias décèlent même un calcul machiavélique de la part des autorités israéliennes : « Elles voient à présent les reportages se focaliser sur les villes israéliennes comme Sderot », explique Le Figaro. Nombreux sont les papiers qui ne s’embarrassent pas de vérités gênantes : « A Gaza on meurt, près de Sderot on prend le café », titre L’Humanité, le 9 janvier dernier. Un spectacle aux antipodes de « l’existence de cauchemar, en sursis, au son des sirènes et des explosions », décrite par Bernard-Henry Lévy, témoin direct, dans sa tribune. Certains éditoriaux laissent même échapper quelques erreurs, comme celui du Monde publié le 29 décembre dernier : « Une nouvelle fois, l’option militaire a été choisie par le gouvernement israélien pour tenter de mettre un terme aux tirs de roquettes qui arrosent son territoire depuis plus d’un mois. » Le feu des Kassams n’est pas mesurable en semaines mais bien en années…
De son côté, le 3 janvier, Libération relativise fortement l’impact des roquettes qui serait « essentiellement psychologique », puisque depuis le début de l’offensive « seuls quatre Israéliens ont été tués ». Comme lors des précédents conflits, les médias sont tentés de s’adonner à un froid calcul arithmétique à la défaveur d’Israël. Néanmoins, d’autres voix se font entendre pour dépasser les interprétations binaires. En particulier celles de la presse régionale : pour La République des Pyrénées, cette guerre « ne fait que conforter le Hamas dans son cynisme fondamental, dans son besoin de martyrs, dans son besoin de sang et de mort. (…) Tout arrange le Hamas, y compris l’imminence d’une crise humanitaire. » Le quotidien d’Ile-de-France, Le Parisien, ne s’y trompe pas : « L’escalade est nécessaire à la survie du parti islamiste. »
Dans ce tourbillon médiatique, la toile est devenue un nouveau champ de bataille. Les sites d’information ont été complètement dépassés par « un déchaînement de haine » dans les commentaires en ligne. « Beaucoup de propos ont été retoqués pour cause d’antisémitisme », constatent les modérateurs de Libération.fr et Lefigaro.fr. Résultat : les talk-backs sont dorénavant interdits sur de nombreux sites. A trop attiser les braises…
La presse arabe se déchaîne
Un peuple pris au piège face au « rouleau compresseur » israélien. Les chaînes de télévision Al-Jazeera et Al-Arabiya véhiculent en continu cette image de désolation à travers le monde arabe. Dans la presse, les éditoriaux s’en font l’écho à travers une terminologie d’une rare violence: « massacre », « attaque barbare », « boucherie », « crime nazi ».
Les médias traitent des affrontements de Gaza comme s’il s’agissait d’un conflit impliquant l’ensemble du monde arabe. Dans de nombreux pays, comme le Maroc, les festivités du 31 décembre ont été annulées en solidarité avec Gaza. Le mot d’ordre reste le même : « Tous Palestiniens ». « Gaza à feu et à sang », titre le 5 janvier le quotidien algérien en langue française El Watan, « acharnée, l’armée israélienne a provoqué un véritable carnage ». Le journal va encore plus loin et n’hésite pas à comparer la bande de Gaza à « un camp de concentration à ciel ouvert ».
« Aujourd’hui, le véritable visage hideux du sionisme est en plein jour », renchérit Liberté, un autre quotidien algérien. La couverture médiatique des Occidentaux est également passée au crible. Dans ce domaine aussi, les médias arabes crient à l’injustice. Al-Jazeera donne l’exemple d’un numéro du Washington Post : « A gauche, l’image d’une mère palestinienne qui a perdu ses cinq enfants. A droite, une photo de dimension quasi-identique montrant une femme israélienne choquée par les combats. Le journal aurait-il fait de même si les rôles avaient été inversés ? »
Au-delà de la peinture dantesque des affrontements de Gaza, la « passivité » des gouvernements arabes est pointée du doigt : « Certains dirigeants arabes cultivent des liens étroits avec Israël, y passent leurs vacances, et lui doivent même parfois leur accession au pouvoir. Pourquoi ne demandent-ils pas à leurs amis israéliens de cesser cette boucherie sauvage ? », s’emporte le quotidien égyptien d’opposition Al-Wafd. Dans cette atmosphère de dangereuse escalade, le Jakarta Post exprime la crainte de débordements intérieurs. L’Indonésie est en effet la première nation musulmane dans le monde. « S’il vous plaît », supplie un responsable indonésien dans les colonnes du journal, « faites bien attention à la façon dont vous rédigez vos phrases, de façon à éviter toute interprétation erronée. »
Particulièrement féroce, la presse arabe est en effet submergée par une vague antisioniste, voire antisémite. Noyées dans la masse, quelques rares exceptions tentent de se faire entendre. Le Matin d’Algérie prend le risque de nommer les terroristes par leur vrai nom : « Les criminels du Hamas arment des enfants de 5 ans pendant qu’ils restent à la maison boire du thé en égrenant le chapelet et feignent de croire en Dieu pendant qu’ils regardent la danse du ventre en vidéo. Ces mercenaires venus d’Iran et de Syrie sont les premiers responsables de la tragédie. Ils ne veulent pas la paix et sont incapables de faire la guerre, mais qui le leur dira ?
Ils l’égorgeraient. Un autre journaliste de Now Libanon arrive à la même conclusion : « L’image des cadavres gisant dans les rues est plus parlante que tout argument politique. Mais jusqu’à quand les Palestiniens resteront-ils les pions d’un jeu où l’on parie sur le sang ? » Certains intellectuels arabes déplorent les peines imposées par le Hamas : « Sacrifier, puis tout perdre, pourquoi ? » Mais à l’évidence, le langage de la raison ne semble pas être la norme.