Madagascar: chronique d’une crise annoncée

Le président de la République malgache, Marc Ravalomanana vit peut-être ses derniers jours au pouvoir. La lutte qui l’oppose à Andry Rajoelina depuis plusieurs semaines ne tourne pas en sa faveur. Pourtant, lorsque ce riche industriel avait pris le pouvoir en 2002 (à la suite d’une crise qui ressemble beaucoup à celle que traverse actuellement le pays), il jouissait d’une énorme cote de popularité. Arrivé au pouvoir, lui qui avait mené sa campagne sur le thème de la lutte anti-corruption a fait profiter son entreprise, TIKO, de tous les contrats d’État, a acheté un avion d’une valeur de 68 millions d’euros dans un pays où 70 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, et loué la moitié des terres cultivables du pays à des entrepreneurs étrangers. Il a ainsi attribué à l’entreprise coréenne Daewoo 1,3 million d’hectares en juillet 2008, comme l’a révélé le 20 novembre le Financial Times. Un choc pour la population : elle considère la terre de ses ancêtres comme sacrée. Aussi, lorsqu’Andry Rajoelina, le jeune maire de la capitale(1), adversaire déclaré de Marc Ravalomanana, brandit à la télévision la preuve de la location de ces terres, il met le feu aux poudres. Les hostilités sont déclarées. Dès le 17 janvier, le maire invite la population à entamer une grève générale le 24 janvier. Un appel auquel la population répond en masse. Le début de la semaine suivante voit s’enchaîner les manifestations, émeutes et pillages, notamment des magasins du président. Près d’une centaine de personnes sont tuées. Andry Rajoelina appelle à manifester les 29 et 31 janvier. Des milliers de personnes participent.

Le tournant de la crise

Le 2 février, Andry Rajoelina (surnommé TGV pour son côté fonceur) affiche clairement ses ambitions lorsqu’il fait une demande officielle auprès de la Haute Cour constitutionnelle pour destituer le président. Une demande qui va échouer, la Haute Cour se déclarant incompétente pour l’examiner. Il menace alors de former un gouvernement intérimaire si Ravalomanana refuse de quitter le pouvoir, n’hésitant pas à s’autoproclamer gestionnaire des affaires nationales. Ravalomanana réplique en destituant le maire d’Antananarivo, invoquant pour ce faire « la mauvaise gestion de la commune, la création d’émeutes et une auto proclamation sur la place du 13 mai ». Un président de délégation spéciale, Guy Rivoniaina Randrianarisoa, est nommé pour le remplacer. De son côté Andry Rajoelina, contestant sa destitution, a nommé son adjointe, Michèle Ratsivalaka pour lui succéder et promet de continuer la lutte.

La crise a pris un nouveau tournant samedi 7 février. Une manifestation de 20 000 partisans de Rajoelina s’est dirigée vers le palais présidentiel. Sur place, la garde de Ravalomanana a fait feu, tuant au moins 28 personnes et faisant 218 blessés. En protestation, le ministre de la Défense, Cécile Manorohanta, a démissionné, affirmant dans un communiqué : « les forces de l’ordre étaient censées protéger la population et ses biens, alors après tout ce qui s’est passé, je décide de ne plus faire partie de ce gouvernement ». Lundi 9 février, 5 000 personnes se sont rassemblées en silence sur la place du 13 mai pour rendre hommage aux morts. Andry Rajoelina lui est bien décidé à poursuivre la lutte. Un proverbe dit : « qui possède Antananarivo possède Madagascar ».

Les derniers moments d’un régime
Comme beaucoup, Anne-Sophie Alberic, jeune française volontaire au sein d’une ONG malgache à Antananarivo, est dans l’expectative : « On a cru que cela allait tourner en guerre civile la semaine dernière, puis tout s’est calmé. Mais personne ne sait actuellement comment cela va se passer. On vit au jour le jour. ». Selon elle, si une partie des Tananariviens a véritablement pris parti pour le maire, globalement les malgaches se positionnent plus contre Ravalomanana que pour Rajoelina. « Il y a un vrai ras le bol au sein de la population qui voit le président s’acheter un avion à 68 millions de dollars alors qu’ils connaissent une situation économique difficile. » La jeune femme a du mal à imaginer l’issue des prochaines semaines mais pense que la prise de pouvoir par Rajoelina est une des sorties de crise possibles. De son côté, Sylvain Urfer, membre de l’Observatoire de la vie publique de Madagascar, constate : « Il était évident que ce soulèvement arriverait. Le rapport de force entre Ravalomanana et ses opposants est en train de changer. Le régime du président vit ses derniers moments, qu’ils se comptent en heures, en jours ou en mois. »

(1)Âgé de 34 ans, il n’a pas l’âge minimum requis par la constitution pour devenir président, qui est de 40 ans.

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