Dossier JCall

L’appel que vous lirez ci-dessous est une réponse à l’appel JCall.eu, déjà signé par de nombreux intellectuels et personnalités juives, identité dont on voit de prime abord mal en quoi elle est gage d’objectivité.

Sauf à penser que le fait d’être juif puisse, par une transsubstantiation d’un genre nouveau, transformer une ingérence aux relents néo-colonialistes du plus mauvais aloi en entreprise de sauvegarde de la moralité juive.

Ou de démenti aux antisémites de tous bords qui fantasment un lien charnel et essentialiste entre judaïsme et adhésion idiote à tous les faits et gestes d’Israël. Ce que nous ne croyons pas. Et qui nous parait suspect au plus haut point.

Cet appel, se drapant des soieries de la belle Raison ne laisse à la critique, fut-elle mesurée et argumentée, que les oripeaux peu enviables du soutien naïf, passionnel et inintelligent à l’État d’Israël et à son gouvernement.

Nous récusons formellement cette partition manichéenne et mettons en question les présupposés politiques et idéologiques d’un tel appel.

Bien loin de taxer cet appel de traitrise ou autres inepties, ce qui par ailleurs ne manquerait pas de conforter les rédacteurs de l’appel dans leur idée que les juifs d’Europe sont de vulgaires moutons de Panurge que leur nationalisme prive de toute lucidité et du minimum vital d’esprit critique, nous nous contentons de signaler une distinction nécessaire :

Une chose est de critiquer le gouvernement israélien et ses choix pour le moins errants politiquement (y’a-t-il en politique de bon choix absolu ? surtout dans de telles complexités ?), une autre est de faire publiquement appel à l’Europe, dont la partialité dans ce conflit est si évidente qu’on ne la voit plus (paradoxe de l’aveuglante clarté), pour faire pression sur Israël.

Une chose encore est de mettre en balance une part de réalisme politique concernant l’épineuse question de Jérusalem, une autre est d’attribuer à la reconstruction d’une synagogue historique et aux implantations la responsabilité de la délégitimation de l’État d’Israël. Comme si Israël n’était pas le seul État dont on nie la légitimité en arguant d’une faute politique.

Nos amis et homonymes de JCall.eu, mus peut être par un esprit trop scientifique, lequel est peu adapté à un objet comme l’Histoire, nécessifient et essentialisent une configuration contingente. Certes, Israël est de fait délégitimé quotidiennement ; et oui, le gouvernement israélien commet de nombreuses erreurs quotidiennement. Toutefois, nous nions qu’il existe là une relation de cause à effet autre que celle qui existe dans la justification a posteriori que tout un chacun se donne pour renforcer et conforter un choix toujours-déjà-fait.

Notre objectif est de rendre publiques les positions de juifs du monde entier, trop longtemps silencieux, et de faire entendre une voix juive solidaire de l’État d’Israël et critique quant aux choix actuels de son gouvernement, et des gouvernements précédents.

Nous appelons toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent en ce texte à le signer.

Nous ne présenterons pas cet appel à la Raison, lors d’une importante réunion au Parlement européen à Bruxelles le 3 mai 2010.

Pour nous contacter, écrivez à contact@jcall.info

N’oubliez pas de signer cet appel si vous le soutenez.

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Appel au réalisme

Citoyens juifs de tous les pays du Monde, nous sommes impliqués dans la vie politique et sociale de nos pays respectifs. Quels que soient nos itinéraires personnels, le lien à l’État d’Israël fait partie de notre identité, de notre culture et/ou de notre foi. L’avenir et la sécurité de cet État auquel nous sommes indéfectiblement attachés nous préoccupent.

Or, nous voyons que l’existence d’Israël est à nouveau en danger. Nous sommes vigilants quant aux menaces qui pèsent sur la sécurité d’Israël et pensons que le problème des implantations juives appelle une solution réaliste qui aille au-delà de la nécessaire condamnation du dehors, qui présente tous les avantages de la facilité et de la bonne conscience sans être alliée à une efficacité.

Nous savons bien, en bons européens que nous sommes, que la colonisation, « c’est mal ». Mais nous savons aussi que derrière ces signifiants trop lourds se cachent des réalités plus complexes, ou s’imbriquent ultranationalisme religieux des uns, projet de destruction des autres, cynisme et double-discours des politiques, problèmes stratégiques et sociétaux concrets qui appellent des chantiers autrement plus difficiles et subtils que des belles déclarations angéliques ; considérations géostratégiques, politiques, économiques et sociales. La société israélienne est traversée de forces antagonistes et est passée tout près de la déchirure après le départ de Gaza. Vu de loin cela peut sembler négligeable, mais sur place, la société civile reste un enjeu important et délicat dans le dossier.

C’est pourquoi nous avons décidé de nous mobiliser autour des principes suivants :

1. L’avenir d’Israël passe nécessairement par l’établissement d’une paix avec le peuple palestinien selon le principe « deux Peuples, deux États ». Nous le savons tous, il y a urgence. Pourtant, il n’y a, sinon dans le discours, jamais d’alternative si bien délimitée et rassurante qu’elle indique à qui sait bien regarder LE bon chemin. Nous refusons de verser dans cette sophistique qui contraint le lecteur à choisir. Oui, Israël risque de devenir un pays à minorité juive et oui Israël arbitre et fait des mauvais choix politiques qui, comme tout choix politique, restent rétifs aux catégories morales de bien et de mal tout comme à une certaine idée de l’éthique juive, et s’accommodent mieux du « pis-aller », quand ce n’est pas du « Ein-Brera », « pas le choix ». Nous refusons de prêter à l’État d’Israël un « honneur » et une « dignité » que nous dénierions par ailleurs aux palestiniens. Nous préférons dire qu’Israël n’empêche pas certaines fautes qu’elle pourrait éviter.

2. Les États-Unis, pas plus que l’Union Européenne ne sont ni ne peuvent être impartiaux dans l’arbitrage de ce conflit. Les États-Unis d’Obama, en pleine crise cherchent les opportunités financières dans les pays arabes et peinent à faire face à la menace iranienne et à ses satellites, tandis que l’Europe complaisante, face à une tablighisation grandissante, doit assurer sa propre intégrité. Idéalement, l’Europe devrait jouer ce rôle. Historiquement, c’est-à dire de fait, elle ne le peut.

3. Nous voulons créer un mouvement mondial capable de faire entendre les multiples, et parfois dissonantes, voix de la raison à ceux qui acceptent de se déprendre de leurs certitudes, y compris les plus élaborées intellectuellement Ce mouvement se veut au-dessus des clivages partisans. Il a pour ambition d’œuvrer à la survie d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, laquelle est conditionnée par la création d’un État palestinien souverain et viable. Nous acceptons et revendiquons cette perspective réaliste et en un sens, nationaliste (un État Palestinien est rendu nécessaire par la situation concrète. Il est grand temps de faire le deuil de certaines dangereuses nostalgies et solutions délétères).

Mais il est aussi grand temps que nous européens conscientisions que les Palestiniens réels ne sont pas les « Bons Sauvages » que le grand récit médiatique nous dépeint sous un jour hautement kitschisé, pas plus que les israéliens ne sont les « Méchants fascistes ». Les palestiniens ne sont ni meilleurs ni moins bons qu’un autre peuple, fut-il le peuple juif ; et le peuple israélien n’a pas à être diabolisé au nom d’un concept sécularisé d’ « élection ». Les fautes de ceux-là ne doivent pas être insidieusement effacées au nom d’un quelconque concept occidental, qui des « opprimés », qui des « colonisés » et des « résistants ». La paix passera par des jeux de forces, économiques, militaires et non par une désignation d’Israël comme bouc-émissaire au sein des Nations.

4. Nous déplorons, avec Jcall.eu, le manque de discernement politique des institutions communautaires ainsi que l’alliance insidieuse de l’identité juive avec le soutien indéfectible à tous les faits du gouvernement israélien. Ce mélange aussi malheureux que dangereux ne laisse aux critiques que le choix de la traitrise ou de la rebattue « haine juive de soi ». Cette précision pour distinguer cet appel d’autres réponses à Jcall.eu.

5. Nous appelons à des raisons pratiques, qui acceptent et se résignent à ce que l’action politique et historique comporte d’indécidable, d’ambigu et d’amoral. Que les nostalgiques du temps ou les juifs, parce que sans État, n’avaient pas à déchoir dans l’Histoire passent leur chemin.

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Réaction de JSS
Signataires de Jcall.eu,

On ne peut pas vous demander de ne pas avoir l’approche que vous adoptez sur la situation en Israël, mais de quel droit vous intellectuels juifs, vous vous adressez à l’Union européenne pour faire pression sur nous? Nous qui assumons la vie en Israël et ce tout qu’elle requiert et nous apporte aussi. Aucun d’entre vous n’est prêt à payer le prix pour être Israélien, et vous demandez aux Nations d’Europe de nous faire le bras de fer pour nous imposer la solution que vous estimez la plus raisonnable, sous le prétexte que vous aimez Israël? Je ne remets pas en cause que vous croyez vouloir le bien d’Israël, mais quand vous dites aimer Israël, permettez-moi d’en douter. Aimer Israël cela consiste aussi à respecter la population de ce pays dans toute sa diversité d’opinions et d’origines, et ses choix également. Aimer Israël, ce n’est pas enfermer ce pays dans ce qu’on souhaiterait qu’il fut tout en n’y participant pas d’autre part.

Vous allez me dire que beaucoup de gens en Israël pensent comme vous signataires de Jcall. C’est tout à fait vrai, mais le débat ne porte pas sur le bien fondé de la formule de solution au conflit que vous prônez dans cet appel. Alors oui, entre nous, Juifs de toute tendance, nous pouvons, nous devons dialoguer et discuter sur ces choses. La question ne repose pas sur le débat ou non débat entre nous. Ce débat existe, il est houleux même, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici.

La question est: comment “juivement” parlant, vous croyez-vous en position morale de vous adresser aux Nations pour nous faire pression, et pour annuler par là-même ce que le peuple de ce pays dans toutes ses composantes décide pour lui-même?! Si tant est que vous vous considérez comme faisant encore partie de ce peuple, le peuple juif. En bon hébreu, dans une attitude de conscience juive, c’est pratiquement de la trahison de vous servir des goyim pour nous forcer la main. (goyim signifiant en hébreu “Nations” et non pas “non juifs”). Comme si les Nations ne nous faisaient pas déjà suffisamment pression? Pratiquement toutes les solutions et mesures que nous adoptons ces dernières décennies nous sont imposées au forceps par les pressions étrangères.

Les implications de vos signatures sur cet appel sont très graves. Votre initiative signifie aux yeux du monde entier que les Juifs d’Israël sont incapables de décider par eux-mêmes et que leur système de délibération par débat public et par élection au sein de la société israélienne n’a aucune valeur en soi. En d’autres termes que l’Etat d’Israël est une fiction politique. Comment à des intellectuels aussi brillants, qui savent réfléchir aux implications de leurs prises de position, cela a-t-il pu échapper? J’aurai tendance à croire que cela ne pouvait pas ne pas vous échapper et que cela atteste de votre arrogance envers les Israéliens “mal fagotés” et “mal dégrossis” que nous sommes à vos yeux.

Mis à part le mépris et la condescendance indigeste d’une telle attitude, cela veut dire que le peuple juif n’est toujours pas mûr à être souverain de son destin sur sa Terre, et par conséquent, qu’il est toujours inapte à l’Indépendance nationale. C’est cela qu’impliquent vos signatures sur l’appel Jcall. Vous signataires, vous ramenez le peuple d’Israël à sa situation antérieure au 14 mais 1948, avant la Déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israël par David Ben-Gourion. C’est-à-dire à une réalité dans laquelle le peuple juif doit être parrainé par les Nations du monde, par un mandat britannique ou “obamique” et où les décisions le concernant sont prises ailleurs, par d’autres, à l’ONU, par le “Machin”. Une conjoncture où le peuple juif est relégué au stade de lobbyiste de communauté juive. En d’autres termes, les concepts de souveraineté, de gouvernement, de nation, ne sont pas applicables pour le peuple juif en Israël. C’est d’ailleurs ce que prétend le monde arabo-musulman, mais c’est déjà un autre débat. La convergence d’attitudes cependant qui, a priori, n’ont rien à voir l’une avec l’autre, ne pouvait pas ne pas être relevée.

C’est cela le post sionisme qui n’est rien d’autre que de l’antisionisme recyclé! Le peuple juif ne peut être qu’un conglomérat d’individus organisés en communautés dispersées prêchant on ne sait quelles valeurs juives. Les mieux intentionnés seraient disposés à octroyer à la “Communauté juive de Palestine” une sorte d’autonomie administrative et de la laisser disposer d’une milice d’autodéfense, mais pour les grandes décisions, ce sont les autres qui doivent les prendre. Dans notre cas, vous les intellectuels juifs d’exil en concertation avec les dirigeants des nations qui échafaudez les modalités territoriales et géopolitiques d’existence aux indigènes hébreux que nous sommes.
C’est cela à quoi mène votre initiative. C’est ce que vous affirmez en clair à Obama, à Poutine, à Sarkozy, à Gordon Brown, à Angela Merkel et par onde de choc, aux nazislamistes comme Ahmanidjad, Assad, et autres postiches de tyrans arabo musulmans qui n’attendent que le moment propice pour nous exterminer. Dans les réunions d’évaluation stratégique aux Etats major des armées syrienne et iranienne, vos diatribes ne peuvent que les encourager. Moi à leur place, je me frotterais les mains de réjouissance: “des Juifs de premier plan et réputés “défenseurs d’Israël” font pression sur la Communauté internationale pour que l’Etat d’Israël se conforme au diktat étranger”. Très fort votre initiative!

Est-ce que le fait que vous êtes tous encore dans une réalité existentielle d’exil a à voir avec cette dérive? Je n’irai pas jusque là, mais c’est pire. Sans vouloir trop rentrer dans ce débat, je dirai que c’est surtout le fait que vous n’envisagez pas de lier votre destin, votre sort, votre existence, à celui de l’Etat d’Israël dans un avenir quelconque.

Cette initiative ne fait donc pas seulement l’objet d’un désaccord ou d’une simple controverse politique entre vous et nous. Si ce n’était que cela, soit. Pour nous, c’est dans le pire des cas un drame de plus, mais pour vous, c’est une tragédie. Pourquoi une tragédie? Parce que vous démontrez par là même que le destin d’Israël en dernier ressort doit se décider ailleurs, par d’autres, pas par les Juifs d’Israël. C’est la pire des fautes d’identité que l’on puisse commettre envers soi-même en tant que Juif. Cela implique ipso facto que vous vous mettez en dehors du peuple juif. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cela arrive dans notre histoire. Ce n’est pas moi qui vous condamne à quoi que ce soit, c’est vous qui vous êtes vous-mêmes condamnés à vous mettre en dehors, à ce que votre destin diverge de celui de l’ensemble de notre peuple en Israël. Peut-être parce que vous n’avez pas suffisamment réfléchi aux implications de cette option de cosmopolitisme qui est grosso modo le choix identitaire commun à vous tous signataires. Alors bien sûr, toutes les ouvertures de retour, de repentir dirait-on dans un langage religieux, sont peut-être possibles. Bien que ce ne soit pas de religion qu’il s’agit, c’est beaucoup plus grave et crucial que cela. Ce n’est pas donc en lisant les Psaumes, ou en adoptant des attitudes pieuses, de tartufferie dirait-on en français, que cela se répare.

Mais j’ai l’impression que ce message est inaudible pour vous, voir incompréhensible, parce que je parle juif même si je le dis en français, et vous, vous parlez français même quand vous voulez parler juif. C’est probablement ce fossé qui se creuse depuis longtemps et dont nous ne prenons acte que maintenant. Un fossé qui risque de devenir infranchissable, comme la semaine dernière lorsque les liaisons aériennes ne pouvaient plus se faire entre Israël et l’Europe justement pendant les festivités de Yom Haatsmaout, la Journée de l’Indépendance d’Israël – nous peuple d’Israël en Israël en tant que Nation liée à sa Terre d’un côté, et vous à concocter cet appel au sein et avec le reste des Nations. Ce n’est pas nouveau dans la très longue Histoire d’Israël. D’ailleurs, ces choses-là, ça se lit et ça s’étudie.

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Réaction de Richard Prasquier

Je ne signerai pas la pétition intitulée « Appel à la raison » que ses concepteurs, le collectif J Call, vont présenter la semaine prochaine à Bruxelles. Je suis aussi attaché qu’eux à l’espoir que la paix, une paix authentique, puisse se frayer un chemin entre Israéliens et Palestiniens, mais je pense que leur approche partielle, sinon partiale, dessert la cause qu’ils prétendent défendre.

Par Richard Prasquier, président du CRIF

Beaucoup des réserves et des critiques qui sont les nôtres s’expriment dans une autre pétition, intitulée « Raison garder ». Le débat d’idées est sérieux et je voudrais ici expliciter ma position qui est celle de l’unanimité du Bureau Exécutif du Crif à qui le texte présent a été soumis. Voici longtemps que le Crif s’était prononcé en faveur du principe « deux peuples, deux Etats ».

C’est déjà ce principe, sous-tendu par le désir de laisser à Israël son caractère démocratique que l’évolution démographique risquait de mettre en tension, qui a poussé le gouvernement Sharon à quitter complètement la bande de Gaza.

La grande majorité des Israéliens y souscrivent, le chef du gouvernement Benjamin Netanyahou l’a publiquement annoncé. La majorité des Palestiniens, malheureusement n’y souscrivent pas. Le rejet est déclaré pour le Hamas : l’article 7 de sa charte annonçant un programme d’extermination devrait épouvanter les lecteurs, si la commodité de l’aveuglement et de la négligence n’était si tentatrice. Jamais le rejet forcené de l’existence d’Israël par le Hamas n’est signalé par la pétition.

Doit-on comprendre que ses signataires considèrent qu’il s’agit d’un phénomène secondaire, d’une simple réaction à la poursuite de l’occupation ?

Mais il n’y a justement plus d’occupation à Gaza et l’article 7 n’a pas été modifié pour autant. Le rejet est plus subtil, mais malheureusement présent pour l’Autorité Palestinienne dont la demande sur le retour des réfugiés équivaut à une disparition programmée d’Israël et dont les choix symboliques marquent le constant désir de ne pas accepter l’existence d’un Etat du peuple Juif.

C’est ce refus existentiel qui joue dans la perpétuation du conflit le rôle fondamental, refus malheureusement en voie de pérennisation par un enseignement de la haine envers les Juifs qui inonde l’esprit des enfants.

Comment faire porter sur Israël, et sur Israël seul, le poids de sa propre délégitimation en suggérant que celle-ci est la réaction à l’ « occupation et de la poursuite ininterrompue des implantations » ? Cette assertion évoque douloureusement les accusations classiques qui font porter sur les Juifs la responsabilité de l’antisémitisme. C’est faire fi de la violence primaire du rejet d’Israël et de son caractère idéologique.

C’est éluder par exemple les motifs de la haine contre Israël du Hezbollah libanais qui se prétend mouvement de libération alors qu’il n’a rien, strictement rien, à libérer : ni implantation, ni occupation….

Comment oser le terme de « faute morale » s’agissant des « implantations » à Jérusalem Est ? Jérusalem Est, d’où les Juifs n’ont été chassés qu’à trois moments de l’histoire : après la destruction par les Romains, après les Croisades et après la prise de la ville par l’armée jordanienne de 1948 à 1967.

Car Jérusalem n’est pas une implantation ou une « colonie ». C’est le cœur vivant du judaïsme et la capitale de l’Etat d’Israël.

Il y a enfin dans la pétition une liberté de ton à l’endroit d’Israël qui s’apparente à une forme de prétention. Les israéliens ont-ils besoin de la diaspora juive pour savoir quelle est la « bonne » décision, ce que devraient être les frontières d’un pays que leurs fils et leurs filles protègent ?

Vouloir faire le bonheur des gens à leur place est une tentation dangereuse. Les Israéliens devraient-ils, eux et eux seuls, rechercher à l’étranger des corrections aux décisions d’un gouvernement élu sur des fondements démocratiques irréprochables? Il y a un enseignement de la Shoah que nous ne devons pas oublier, c’est celui de l’absence des nations et de leurs représentants au moment où leur voix ou leur action aurait pu éviter, ou au moins diminuer, le macabre comptage de l’extermination. Israël revendique le droit élémentaire d’être un sujet et non un objet de l’histoire.

Nous pensons que ce n’est pas un « alignement systématique sur la politique du gouvernement israélien » que de lui reconnaître ce droit. Cela étant, il y a parmi les rédacteurs et les signataires de cette pétition des personnes qui nous sont proches et dont nous estimons le travail et la réflexion. Il en est qui sont membres du Crif et ils y ont toute leur place. Leur engagement envers Israël n’a pas besoin de preuve tant il s’est manifesté dans le passé.

Au bureau du Crif, beaucoup partagent leurs angoisses et certains partagent une partie de leurs analyses. Notre institution est et doit rester plurielle. Les invectives, et a fortiori les menaces, n’y ont pas leur place.

Mais l’enfer étant pavé de bonnes intentions nous pensons que demain, en dépit des protestations sincères de ses auteurs, ce texte, signé par une majorité de juifs sionistes, servira de pièce à conviction dans des tribunes, des forums et des rassemblements qui ne le seront certainement pas.

Dans la nécessaire et difficile négociation que nous appelons de nos vœux, il ne suffira pas pour que la paix puisse s’espérer et perdurer qu’on mette un terme à des constructions qui ne gênent objectivement personne, ou que l’on détaille au cordeau des frontières sur des cartes géographiques.

Il faudra un changement de mentalités, et pour cela que les interlocuteurs soient sincèrement convaincus de leur intérêt bien compris à l’acceptation de l’autre. Ce serait un beau signal du début de cette acceptation que de voir un texte en miroir à celui de J Call se diffuser dans le monde arabo-musulman.

Je regrette que nous n’en soyons pas là actuellement.

Richard Prasquier
Président du CRIF

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Raison Garder

Un groupe d’intellectuels et de personnalités se réclamant avec ostentation de leur appartenance juive pour gage de leur objectivité a pris l’initiative sélective d’un « Appel à la raison » auquel il entend assurer la plus large diffusion possible. En réalité, cet appel va à l’encontre de ses buts affichés : la démocratie, la moralité, la solidarité de la Diaspora, le souci du destin d’Israël. L’offensive politicienne qui le sous-tend est claire pour tout le monde.

1) L’idée d’une paix imposée à Israël sous la pression, voire l’intervention de puissances, est un déni de la démocratie et du droit international, aux relents néo-colonialistes. Elle bafoue le libre choix des citoyens de la démocratie israélienne et constitue un dangereux précédent pour toutes les autres démocraties.

2) Elle se repose sur un président américain qui échoue à faire face au défi mortel iranien et une Union européenne qui s’est globalement identifiée à la cause palestinienne. Israël est sous une menace d’extermination proférée par la République islamique d’Iran et ses satellites qui l’enserrent au nord, le Hezbollah, au sud, Gaza.

3) Alors que ces mêmes signataires font peser la responsabilité de l’impasse sur le seul Israël, toutes les enquêtes objectives montrent et démontrent que ni l’Autorité ni la société palestiniennes ne sont véritablement intéressées par une paix juste: 66,7% de cette population rejettent la création d’un État palestinien sur la base des frontières de 1967, 77,4 % rejettent l’idée que Jérusalem soit la capitale de deux États (sondage d’avril 2010 par l’Université Al Najah de Naplouse). La création d’un État palestinien sans la confirmation de la volonté de paix du monde arabe sans exception exposerait le territoire exigu d’Israël à une faiblesse stratégique fatale.

4) L’«Appel à la raison » souffre d’amnésie : les accords d’Oslo ont conduit à une vague de terrorisme sans précédent, le retrait du Liban à l’installation du Hezbollah – et les garanties du Conseil de sécurité à ce propos sont un chiffon de papier -, le désengagement de Gaza a conduit au coup d’État du Hamas et à une pluie de missiles de plusieurs années. Demain « Jérusalem-Est » et l’État de Palestine seront-ils sous la coupe de ce dernier ? Les regrets des signataires de l’Appel ne serviront à rien…

5) La morale et l’honneur, la volonté de paix, ne sont l’apanage d’aucun camp. Ils sont un enjeu de chaque instant. Par ses motivations partisanes et partiales, cet « appel à la raison » contribue aux tentatives de boycott et de délégitimation qui visent l’État d’Israël, et il porte gravement préjudice à sa population.

6) Devant les véritables menaces qui visent Israël dans son existence même et qui compromettent les chances d’une paix durable au Moyen-Orient nous entendons constituer un mouvement d’opinion véritablement médiateur au sein de l’Union européenne dont nous sommes les citoyens, qui se propose de défendre et d’illustrer la légitimité de l’État d’Israël dans le cadre d’une véritable paix, et de lutter contre l’antisémitisme qui s’y développe dangereusement.

Nous appelons à signer en masse cette déclaration.
Signez et faites signer l’appel à « raison garder »!

Pour signer cliquer ici…

Premiers signataires : Jean Pierre Bensimon, professeur de sciences sociales, Raphaël Drai professeur professeur de sciences politiques et de droit, Judith Gachnochi, psychologue, Georges Gachnochi, psychiatre-psychanalyste, Nicolas Nahum, architecte, Georges Elia Sarfati, professeur des universités, linguiste et philosophe, Perrine Simon Nahum, chercheur au CNRS, Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS, philosophe, politologue et historien des idée, Shmuel Trigano, professeur de sociologie politique, philosophe, directeur de la revue « Controverses ».

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Réaction de Guy Millière

Le 3 mai prochain, sera organisée, à Bruxelles, une soirée destinée au lancement de J-Call, « l’appel à la raison des juifs européens ». Y participeront des gens qui s’égarent gravement, et qui s’apprêtent à occuper la position des « idiots utiles ». S’ils persistent, je devrai considérer qu’il s’agit d’idiots utiles consentants et sachant ce qu’ils font.
De quoi s’agit-il ? Sous prétexte d’un appel à la « paix », de déstabiliser le gouvernement d’Israël, et, dans un moment où Israël est l’objet de pressions sans précédents exercées non plus seulement par l’Union Européenne, mais par l’administration la plus anti-israélienne que les États-Unis aient connu depuis 1948, d’ajouter aux pressions existantes celles de juifs européens se prétendant « amis d’Israël » et, au delà, de diviser ceux qui soutiennent Israël, et de semer la confusion.

Au centre de cet appel, il y a un texte, qui relève de bien davantage que l’aveuglement volontaire et qui me fait penser au morceau de papier que Chamberlain et Daladier ont brandi à Münich, après avoir rencontré le « chancelier Hitler » en 1938.

Derrière cet appel, il y a une organisation américaine qui se prétend être une « nouvelle organisation juive de soutien à Israël », et qu’Alan Dershowitz, qui a soutenu Obama avant de découvrir qu’il avait affaire à un imposteur, a appelé, « le lobby anti-israélien ».

Je regrette profondément de voir figurer, parmi les noms des signataires de l’appel, des gens pour qui j’ai, a priori, de l’estime. Je veux bien penser qu’ils ont été trompés, qu’ils s’en apercevront vite, et cesseront de cautionner ce qui ne peut l’être par des gens estimables.

Je ne pouvais, en tout cas, rester silencieux vis-à-vis de ce que je considère comme une action néfaste et perverse en un moment particulièrement mal choisi. Je reviendrai dans de prochains articles sur le vrai visage de J Street, et je le ferai avant le 3 mai.

J’ajouterai ici seulement quelques points, qui constituent ma réponse au texte :

– Israël fait partie de l’identité de tous les êtres humains qui discernent ce que le peuple juif et le judaïsme ont apporté à la civilisation. L’avenir et la sécurité d’Israël devraient concerner tous les êtres humains attachés à la démocratie, aux droits humains, à la liberté et à la dignité.

– l’existence d’Israël est mise en danger non pas par les actions d’Israël et de son gouvernement, mais par la haine sans répit que lui vouent des ennemis imprégnés de racisme, d’esprit totalitaire et de volontés exterminationnistes. Ce danger se trouve renforcé par tous ceux qui, plutôt que de dénoncer les discours islamo-fascistes du gouvernement iranien, du Hezbollah, du Hamas et, le plus souvent, des dirigeants de l’Autorité Palestinienne, passent rapidement sur ces discours pour se joindre au chœur de ceux qui condamnent Israël. L’existence d’Israël se trouve particulièrement mise en danger lorsque des « amis » d’Israël reprennent le mot d’ »occupation » : arrive-t-il à ces « amis » de se demander pourquoi ils sont contre l’épuration ethnique partout ailleurs sur terre, mais en faveur de l’épuration ethnique dès lors qu’il s’agit des terres « palestiniennes» qui, semble-t-il, sont « occupées » dès lors que des juifs entendent y vivre (et sans doute libres lorsqu’elles sont pures de toute présence juive).

– l’avenir d’Israël passe par une paix qui remplirait des conditions permettant une paix véritable. Une paix n’est pas possible avec des organisations terroristes qui prônent la destruction et la « lutte armée » et non la coexistence pacifique. Elle n’est pas possible avec des gens qui honorent des assassins tels Dahlia Moghrabi et les appellent non pas assassins mais « martyrs ». Elle n’est pas possible avec l’éducation que reçoivent les enfants de Gaza sous la coupe du Hamas, et les enfants relevant de l’Autorité Palestinienne. Le slogan « deux États pour deux peuples » est digne, en sa débilité de ceux élaborés autrefois par la propagande stalinienne : ce qui manque dans ce slogan est la nature des États en question et les aspirations des peuples en question, auxquelles contribuent, outre l‘éducation, les réseaux d’information. Un État démocratique à côté d’un État voyou nouvellement créé, cela ne crée par la paix, mais la guerre sous un autre nom. Un peuple voulant la paix à côté d’un peuple à qui on inculque une haine antisémite sanguinaire et qu’on récompense pour cela, cela ne crée par la paix non plus. L’avenir d’Israël passe par le fait que des gens qui se prétendent « amis d’Israël » cessent de colporter des mensonges démographiques (les juifs ne risquent pas d’être minoritaires dans leur propre pays, sauf si on reprend les statistiques palestiniennes, qui sont aussi fiables que ceux des plans quinquennaux soviétiques et si on accepte un « droit au retour » qui, lui-même repose sur des bases aussi fausses qu’un plan quinquennal soviétique), et cessent de stigmatiser Israël en parlant de « déshonneur israélien », mais jamais du déshonneur que constitue le fait pour les dirigeants du « deuxième peuple » de pratiquer sans cesse le double discours, l’incitation et l’exaltation de la violence, et le recours massif à la corruption et à des pratiques dictatoriales.

– une paix véritable implique non pas une « pression » exercée sur « deux parties », mais que les conditions d’une paix véritable soient remplies : établir une équivalence entre un gouvernement démocratique et un peuple qui veut la paix véritable, d’un côté, et d’un autre côté un gouvernement d’État voyou et un peuple incité à la haine et au meurtre équivaut à ignorer volontairement qu’un gouvernement d’État voyou et un peuple incité à la haine et au meurtre ne sont susceptible de céder à aucune pression, sauf si on leur fait comprendre les conséquences de leur attitude en leur coupant les vivres, et à vouloir exercer des pressions sur le gouvernement démocratique et le peuple qui veut la paix véritable aux fins d’espérer vainement apaiser la partie adverse et de lui permettre d’avancer vers ses fins.

– un règlement raisonnable n’est possible qu’avec des gens raisonnables : reconduire des fanatiques assoiffés de sang à la raison ne peut être rapide. Ce qui peut reprendre rapidement avec des gens qui penseraient raisonnables des gens déraisonnables, ce serait, le cas échéant, une campagne de meurtres d’Israéliens, ce qu’aucun gouvernement israélien raisonnable ne pourrait admettre.

– respecter la souveraineté du peuple israélien implique de le laisser effectivement exercer sa souveraineté, et non pas de tenter, de manière méprisante et condescendante, de lui suggérer que ce sont des intellectuels de gauche européen qui, depuis leur bibliothèque et leur bureau, vont concevoir la « bonne décision ». Penser que des intellectuels de la gauche européenne bien pensante savent mieux que le gouvernement d’Israël ce que sont les « intérêts véritables d’Israël » excède le mépris et la condescendance, et atteint le degré suprême de la cuistrerie.

– la survie d’Israël ne dépend pas de la création d’un État confié à l’Autorité Palestinienne et au Hamas, mais de la défaite de l’islam radical et d’un retour à la vérité historique et politique. Un État palestinien existe déjà et s’appelle la Jordanie. Un deuxième État palestinien ne serait souverain et viable que s’il reposait, au préalable, sur un changement de régime dans l’ensemble des territoires régis par des arabes Palestiniens. Dans les conditions actuelles, il ne serait ni souverain ni viable, et, je le dis en prenant date, il ne verra donc pas le jour, sinon dans la tête d’intellectuels de gauche bien pensants cherchant à se donner je ne sais quelle bonne conscience dans les salons européens sur le dos d’Israël.

Quand je vois certains « amis d’Israël», il m’arrive de me dire que l’avantage des ennemis déclarés d’Israël est de ne pas avancer masqués. Avec de tels « amis », on pourrait presque dire qu’Israël n’a pas besoin d’ennemis.

Guy Millière
Universitaire, chroniqueur et essayiste

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