Les chercheurs israéliens de l’université Ben-Gourion ont trouvé le moyen de «désamorcer» le plutonium. Ce combustible nucléaire, dont 95 % de la production provient des 430 centrales nucléaires en activité dans le monde, constitue une menace de prolifération majeure car, une fois «usagé», il peut être réemployé pour servir de matière fissile à des ogives nucléaires.
Dans ses locaux du Negev, à Beersheba, l’équipe du professeur Yigal Ronen estime avoir trouvé le moyen de fabriquer du plutonium «sûr», exploitable à des fins civiles et non militaires. Le procédé expérimental, dont les détails doivent être publiés le mois prochain dans la revue américaine Science and Global Security, consiste à ajouter une infime quantité d’américium 241, à hauteur de 0,1 %, au combustible avant son introduction dans un réacteur. L’américium 241 a été obtenu par le physicien américain Glenn Seaborg en 1944 en bombardant du plutonium à l’aide de neutrons. Cet isotope rare, dont une forme synthétique est utilisée pour la fabrication des détecteurs de fumée, a la particularité de «neutraliser» le plutonium fissile issu des réacteurs, le rendant inoffensif pour d’éventuels usages militaires.
La science pourrait-elle réussir là où la diplomatie a échoué ? Préoccupé par l’incapacité de la communauté internationale à geler les progrès nucléaires de l’Iran, l’État hébreu pense avoir trouvé avec cet additif le moyen de promouvoir l’expansion de l’énergie atomique, au Moyen-Orient comme dans le reste du monde, sans qu’émergent de nouvelles puissances nucléaires rivales. Mais pour les chercheurs de l’université Ben-Gourion, l’impact de cette découverte dépasse largement le cadre de la lutte antiprolifération nucléaire. Les cinq principaux fournisseurs de plutonium enrichi destiné à des réacteurs nucléaires, la France, l’Allemagne, la Russie, le Japon et les États-Unis, pourraient alors sans crainte vendre du combustible à un nombre toujours croissant de pays intéressés par l’énergie nucléaire, tout en décidant de continuer à produire du plutonium «non dénaturé» pour eux-mêmes.
«Quand vous achetez un réacteur nucléaire à l’un de ces cinq pays, cela vous donne également le droit de recevoir du combustible nucléaire pour le réacteur, explique Yigal Ronen. Dans ce cas, si les “cinq” acceptaient d’inclure l’additif dans le combustible pour les pays développant un programme nucléaire, tels que Bahreïn, l’Égypte, le Koweït, la Libye, la Malaisie, la Namibie, le Nigeria, le Qatar, Oman, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, ils seraient alors tenus de l’utiliser à des fins pacifiques et non belliqueuses.»
Droit «inaliénable»
Pour l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui depuis Vienne assure la promotion de l’énergie nucléaire dans le monde tout en veillant au respect du traité de non-prolifération (TNP), la mise en pratique de cette découverte pourrait provoquer une levée de boucliers : technologie duale, du fait des passerelles existant entre applications civiles et militaires, le nucléaire représente pour les 145 États membres de l’agence un intérêt tout aussi économique que politique. Il constitue également un vecteur de puissance et un précieux attribut de souveraineté.
Certains États rejettent systématiquement les différentes initiatives de lutte antiprolifération destinées à circonscrire le commerce de combustible nucléaire. Ils avancent le droit «inaliénable», inscrit dans la charte de l’AIEA, à maîtriser tout le cycle de l’atome. Passé au crible par l’agence de Vienne pour la relative opacité de ses ambitions nucléaires, l’Iran développe ainsi son propre programme d’enrichissement d’uranium, l’autre filière de combustible avec le plutonium, afin de s’affranchir de toute dépendance envers les pays membres du Groupe des fournisseurs nucléaires (NSG). «Notre travail ne peut résoudre qu’une partie du problème», précise Ronen dans le Jerusalem Post. «La réalité est plus compliquée et la dénaturation [du plutonium] n’entame pas les autres options dont l’Iran dispose.»