Un agent des renseignements à la tête de l’UNESCO ?

La candidature de l’égyptien Farouk Hosni à la direction de l’UNESCO est de plus en plus contestée, y compris par les intellectuels égyptiens. Même s’ils saluent son hostilité à l’égard d’Israël, alimentée par le conflit israélo-palestinien, ils lui reprochent sa proximité avec les services de renseignement qu’il a servis pour mater les étudiants égyptiens en France dans les années 1970. Ils lui reprochent également son rôle dans l’affaire terroriste Achille Lauro en Italie en 1985. Paradoxalement, une partie des intellectuels et artistes égyptiens souhaitent son élection à l’UNESCO dans l’espoir de s’en débarrasser.

Le site « Elaph.com » souligne se matin que les chances de l’élection de Farouk Hosni à la direction de l’UNESCO, lors du quatrième tour prévu dans l’après-midi du 21 septembre 2009, sont revues à la baisse. Ce qui met tout le ministère égyptien de la Culture en état d’alerte. Et pour cause, depuis plusieurs jours, voire plusieurs mois, les révélations sur les relations de Farouk Hosni avec les Services de renseignements sont sur toutes les lèvres. Samedi dernier, « Elaph.com » s’est en effet étalé sur la carrière du ministre, carrière due en partie à sa loyauté au régime, insistant sur ses relations avec les Renseignements égyptiens (Sécurité nationale). Selon le site, le ministre-candidat avait lui-même reconnu avoir « travaillé avec les Services pendant plusieurs années, avec en point d’orgue, les années très excitantes de 1972 et 1973. Pendant cette période, l’opération de la traversée du Canal de Suez (guerre d’octobre 1973) se préparait. Ce fut un processus magnifique ».

Hosni avoue également avoir enquêté et persécuté des étudiants égyptiens en France, quand il fut conseiller culturel à l’ambassade d’Egypte à Paris. « Quand j’étais à Paris, comme conseiller culturel, on m’a demandé d’espionner les étudiants et de dénoncer ceux qui déviaient. Je l’ai fait, mais cela ne signifie pas que je les ai réprimés », disait-il textuellement, confirmant les accusations formulées à son égard par plusieurs écrivains et artistes égyptiens, dont le Professeur de droit international Yahya el-Gamal, ancien ministre et attaché culturel à Paris, dans ses mémoires intitulés « Ordinary Life Story ». Selon « Elaph.com », Hosni avait avoué à des journalistes investigateurs égyptiens que le chef des Renseignements égyptiens l’avait nommé à Paris, « à une époque (1971) où le Mossad israélien avait toute la liberté d’action. La France était aussi engagée dans une guerre de l’ombre entre Services, sur fond de vente de missiles. Il a alors fallu s’occuper des étudiants égyptiens et de les protéger de toute infiltration du Mossad ».

Toujours selon « Elaph.com », Hosni a joué un rôle important dans l’affaire du détournement du paquebot « Achille Lauro » en 1985 par un commando palestinien dirigé par Abou Abbas. Le commando avait pris un avion pour se rendre en Égypte, après les négociations pour libérer le navire. Dans la version du ministre, « (…) l’avion a été intercepté et détourné par les américains. L’avion a été encerclé par les unités d’élite italiennes et américaines. Mais des agents égyptiens étaient à bord, ainsi que les membres du commando palestinien. Les services égyptiens ont manœuvré et j’ai reçu les passagers de l’avion à l’académie d’art égyptien à Rome, que je présidais avec statut de diplomate. On a réussi à faire monter les terroristes dans l’avion, et les italiens pensaient qu’ils étaient à l’académie. Le procureur italien, dépêché à l’Académie, voulait interroger les ressortissants non-égyptiens, à la recherche des terroristes palestiniens. Mais je lui ai dit qu’ils étaient tous égyptiens, en refusant de lui livrer les passeports. J’ai longtemps tergiversé avant de lui remettre les passeports, en attendant que l’avion au bord duquel les terroristes avaient été cachés, puisse quitter l’Italie. L’appareil a été autorisé à repartir, et les autorités pensaient que les terroristes étaient à l’académie. Quand l’avion était en sécurité, loin du territoire italien, j’ai remis les passeports au procureur. Il n’a pas trouvé les terroristes qui étaient déjà loin ».

Cette version des faits semble se confirmer. Le journal égyptien « Al-Dostor » évoque ces faits dans son édition du 4 septembre dernier. Son éditorial Waël Abdelfattah estimait alors que « la carrière de Hosni est en partie due à son militantisme au sein des Services », et lui attribue le rôle central dans l’étouffement des intellectuels égyptiens.

Le plus étonnant est que le quotidien gouvernemental « Al Ahram » évoquait déjà, le 10 septembre 2007, le rôle de Hosni dans le dénouement du détournement de l’Achille Lauro en 1985. Mais à l’époque, la candidature de Hosni à la tête de l’UNESCO n’était pas encore à l’ordre du jour. Aujourd’hui, ces faits révélés et confirmés devraient mettre fin aux ambitions internationales du ministre à la direction de l’Organisation des Nations Unies pour la Culture et la Science.

Au Caire, on redoute une prise de conscience des pays membres de l’UNESCO qui doivent choisir son prochain directeur. Cette perspective fait trembler les responsables égyptiens, souligne « Elaph.com » ce matin. Mais elle conforte les intellectuels, artistes, cinéastes et journalistes égyptiens qui s’estiment victimes de Hosni depuis 22 ans. C’est lui qui a supervisé la censure au nom de « la protection de la société », disait-il dans une interview au journal saoudien « Al Jazirah » du 27 janvier 2004. Hosni voulait protéger la société face à la mondialisation culturelle, grâce à l’autocensure pratiquée par les maisons d’édition égyptiennes, et par le ministère de la Culture. Il a confirmé cette option dans une interview à la télévision « Al Arabiya » du 21 août 2008

La personnalité et le rôle de Farouk Hosni lui ont valu l’hostilité de la majorité des artistes et intellectuels égyptiens, qui multiplient les appels à la communauté internationale pour ne pas l’élire à la direction de l’UNESCO, par respect à cette institution. Pourtant, une partie non négligeable des Egyptiens souhaite paradoxalement son élection, non pas dans l’intérêt de l’UNESCO, mais pour se débarrasser du ministre, champion de la censure et ancien agent des Services. Plus que quelques heures avant le verdict.

Randa Al-Fayçal

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